CENTON ou "LACUNAIRES" :
(lire, penser,
écrire l’au-bout des rationalités
offensives…)
-« Le dépouillement des
phénomènes vis-à-vis du contenu
immédiat de nos perceptions, présente deux
caractères que nous mettrons en évidence.
D’une part, ce processus révèle une
identité d’essence
entre l’intellect et l’univers. D’autre part, ce contenu se vide progressivement de sa substance
apparente: la
matière tend elle-même à n’être
qu’une forme vide, un champ d’action des
propriétés structurales de notre esprit,
c’est-à-dire quelque chose d’immatériel…
Nous exprimerons ainsi et de la façon la plus
extrême la tendance ultime de la science:
réduction de la réalité au vide. Ce
vide n’est pas le non-être, le néant. C’est au
contraire l’être le plus complet qui soit puisqu’il
contient l’univers en puissance. » (G. Cahen,
Conquêtes de la
pensée scientifique,
Dunod, Paris)
« Bien que trente
rayons convergent au moyeu
« C’est le vide médian
« Qui fait marcher le char
« L’argile est employée à façonner
des vases
« Mais c’est du vide interne
« Que dépend leur usage
« Il n’est chambre où ne soient percées
porte et fenêtre
« Car c’est le vide encore
« Qui permet l’habitat
« L’être a des aptitudes
« Que le n’être-pas emploie.(Lao-tzeu : Tao-tê-king)
« La "Vue juste" dont parle le bouddhisme consiste
à voir directement - sans interférences
mentales - la Réalité profonde de l’univers et
de nous-mêmes, au-delà des apparences
superficielles. Pour "voir" sans interférences
mentales, il faut dépasser celles-ci. Mais pour les
dépasser il faut les connaître. »…« Les Eveillés nous enseignent qu’une tâche
immédiate nous incombe: la réalisation du
silence mental. Mais une grande confusion règne quant
à la nature exacte de ce silence mental.
Précisons immédiatement que ce silence mental
n’est qu’une pause
nécessaire et indispensablese situant entre deux façons de
penser très différentes. La première
est la façon de penser désordonnée de
l’homme ordinaire. La seconde est la façon de penser
de l’Eveillé, qui est complètement
différente. Le psychologue indien J. Krishnamurti
comparait l’activité mentale de l’homme à une
machine complexe tournant avec rapidité. Si nous
voulons étudier le fonctionnement de cette machine et
voir comment ses rouages agissent entre eux, il est
nécessaire de l’arrêter un instant, puis de la
faire tourner au ralenti. Les Eveillés nous
enseignent que dans l’homme la "machine mentale" fonctionne
mal. Elle est branchée sur le mauvais courant. Il
faut la déconnecter, et la brancher sur une source
d’énergie infiniment plus précieuse. »
(Robert Linssen, Le Zen,
sagesse d’Extrême-Orient: un nouvel art de vivre ?, Marabout)
« De nos jours on ne peut plus que penser dans le vide
de l’homme disparu. Car ce vide on ne creuse pas un manque:
il ne proscrit pas une lacune
à combler. Il n’est rien de moins que le dépli
d’un espace où il est enfin à nouveau possible
de penser. » (Michel
Foucault, Les Mots et les
choses.)
« Le sujet le plus fort ne doit-il pas justement
être conçu comme celui dont le
métabolisme fonctionne le plus efficacement -
c’est-à-dire comme l’homme faisant le moins
mystère de sa cavité, de sa pénétrabilité,
de sa médialité ? » (P. Sloterdijk,
Sphères).
« La tâche de la philosophie ne consiste pas
à nous apporter des lumières sur quelque
inconnu mystérieux, mais à placer sous un jour
nouveau ce que nous avons en permanence sous les yeux - et
dont, pour cette raison même, nous n’avons plus
conscience - de façon à nous le faire
percevoir et à nous faire corriger les images fausses
qui ont orienté nos pensées dans la mauvaise
direction… » (Joachim Schulte Lire Wittgenstein- L’Eclat), lequel Wittgenstein
précise : « La philosophie place seulement sous
les yeux sans rien expliquer ni rien déduire. - Comme
tout est étalé sous nos yeux, il n’y a rien
à expliquer. Car s’il arrivait qu’il y ait quelque
chose de caché, ce n’est pas ce qui nous
intéresserait. On
pourrait appeler "philosophie" ce qui est possible
avanttoutes découvertes et inventions
nouvelles. »
« Je tire une ligne, je tire une autre ligne, une autre
encore. Entre les lignes quelque chose se met à
vibrer, dans les espaces blancs des formes prennent
substance. Le non écrit devient lisible, le vide
parle, l’inexistant paraît doué de sens.
Comment expliquerai-je quoi que ce soit lorsque je ne cesse
d’être surpris moi-même ? Avez-vous des
oreilles pour un chant noir et blanc ? Avez-vous des yeux
pour des lacunes raisonnables ? […] » (Michel
Seuphor, Le Jeu, la
Règle).
« […] Le Rien est une sorte de minimum vital,
sans artifices, sans supplément à la carte,
sans rêves, avec quelques luxes comme le café
ou la cigarette mais une absence totale d’ambition, de but
et de croyance. Le Rien est un idéal de vie dont la
richesse est l’absence de goût des choses, Un Rien en
vue de jours meilleurs. Ce Rien est en effet
nécessaire à vivre pour entrevoir quoi que ce
soit d’autre. Il crée une sorte de vide, une
réserve qu’on pourra un jour remplir avec ce qu’on
imaginerait. C’est une sorte d’aménagement du temps
futur et c’est le moment ou jamais pour le vivre puisque
sorti d’une période difficile. De ce Rien, on peut
tout envisager. C’est une page blanche, une disquette
vierge, un espace de liberté privé, à
ce moment, de tout sens, de tout but, signifiant que
l’univers des possibles est immense et sans limites. »
( Eric Brignole, Aliénations… - En cours)
« Que tout danse et se
meuve, agisse et crée
« Se forme d’abord et puis se métamorphose,
« En apparence, seulement, immobile par instants.
« L’Éternité se manifeste en toute
chose
« Car tout doit s’effondrer en rien
« Si cela veut
persévérer dans l’être. (Goethe)
- « Les
symptômes de l’absolu, ce sont l’intervale, le trou,
la
cavité,le creux du
ciel… Tout interstice est un abîme et
l’abîme… est ce réceptacle de l’absolu. » Malamoud
- « Une paire de chaussures de
paysan, et rien de plus. Et pourtant… Dans l’obscure intimité
du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. » (Heidegger, L’Origine de l’œuvre d’art…)
- « Ce que l’on avait à apprendre dans le fait
de se retrouver seul avec Dieu, on le transpose aujourd’hui
à l’existence des grandes villes, une vie en
solitaire avec un
néant meublé… Nous sommes en train de vivre une grande
agonie des anges en nous - les derniers anges sont
des anges
vides, des non-messagers,
des hommes neutres. » (Peter Sloterdijk,
Essai d’intoxication
volontaire)
- « Aux lacunes de l’interlocution
l’anthropophagie supplée. Elle supplée bien,
même, emplissant le vide que laisse échapper la
langue, sans jeux de mots. », (Olivier Gambier in
Carnaccia, éd. Parc.)
- « …L’Enchiridium
metaphysicum[de Henri
More] ne se borne pas à affirmer contre tous les
adversaires éventuels l’existence effective de
l’espace vide infini, en tant que condition réelle
préalable à toute existence possible,
mais va jusqu’à
l’offrir comme le meilleur et les plus évident
exemple d’une réalité
immatérielle, et
donc spirituelle, et de ce fait, comme l’objet premier et
principal, bien que non unique, de la métaphysique. » (in A. Koyré, Du monde clos à l’univers
infini)
« Dans des conditions encore
inexpliquées jusqu’à nouvel ordre, la
densité, le continu, le massif sont envahis par le
creux. L’air s’entend à pénétrer dans
des lieux où nul ne l’attend. L’écume est,
dans une certaine mesure, la tromperie réelle - le
non-Étant sous forme de quelque chose qui demeure
pourtant quelque part un Étant… un feu follet, un
excès, une humeur, un gaz paludéen,
habité par une subjectivité trouble. Donc
fragile… Mais aussi bien pourtant un retournement positif
du négatif. » (P. Sloterfijk ( Sphères - Ecumes) .
« C’est le processus d’écriture qui est en
cause : il y a le blanc, m’angoisserait-il que je le meuble
sur le champ avec des mots ; mais ces mots laissent du blanc
entre eux, même si je les densifie, les fait se
téléscoper - un qui en retient quatre dans son
paquetage - il faut encore occuper ce blanc, farcir leurs
jointures jusqu’à les rigidifier, tenter à
perte de vue de combler des lacunes, rendre étanche
une ligne de front, réduire de plus en plus les
marques de suspension qui permettent de respirer […] Sans
vide, sans blanc, sans absence point d’écrit pour
réparer un manque - en même temps que blesser
l’objet manquant : lui en faire voir, le convoquer pour
stigmatiser sa défection […] Un rien par lequel
tout adviendrait - par magie ou travail (parturition), avec
expulsion d’un nouvel être […] Un trop plein
soigneusement canalisé pour installer, initier,
produire un creux, du vide, re composer une matrice […]
Dans la matière compacte créer des vacuoles.
Des interstices (où des poches d’air puissent se
loger), des intervalles - qui procurent une distance, des
articulations, accordant la souplesse. Pour respirer, pour
concevoir, pour le jeu. Et se préparer au blanc,
mimant la fuite, le vide […] Quantité
d’idées, d’êtres, passent, qui
s’échappent, que je ne retiens pas - alors que
certains, certaines, me semblent décisifs. Et
là, comme dans un tourbillon, un arrêt, une
absence (de mémoire, de pensée), un trou :
qu’est-ce que c’était déjà… ? Par
réaction, suivre la première idée, le
premier être venu, soudain […] Contact. Le capteur
d’ondes transfère son récent savoir au
sismographe, chaque onde déviée entre temps
par le miroir intermédiaire. Les signes mobilisent
l’énergie. Un signalement immobile, hors de
l’espace-temps, devient empreinte en creux qui s’anime…
Merveille quand, sur une page, deux ou trois segments de ces
filaments par lesquels l’écriture se manifeste
deviennent incandescents… » (Israel Vojn,
Lieu
d’être, extraits
inédits…)
-« La poésie trouve son origine dans ce qui
du langage apparaît comme trou, comme
assignant la défaillance de la structure signifiante.
Le poème s’inscrit dans la volonté de ne pas
dire, qui correspond au désir de dire autre chose, de
pénétrer dans un territoire entièrement
nouveau (…) La poésie comme effet de trou va
induire une certaine efficace dans la dimension de
réel : " Ce qu’il en est de l’efficace dans le
langage n’est pas en lui-même un message, mais il ne
se sustente que de la fontion de ce que j’ai appelé
le trou dans le Réel. (Lacan, 17/05/77) (…) La
poésie comme effet de trou ayant des effets de sens
va se confondre avec l’art de l’équivoque,
nécessaire à l’acte d’interprétation :
"La poésie combine à la fois cet effet de sens
et cet effet de trou, elle seule permet
l’interprétation dans la technique analytique"
(Lacan, 20/01/76). Freud recommandait de pratiquer
"l’attention flottante", c’est-à-dire de
n’écouter l’analysé que d’une oreille
distraite et de faire confiance à son inconscient
pour saisir, grâce à cette distraction
calculée, les accidents marquant l’affleurement dans
le discours d’une autre parole, d’une autre signification,
d’une vérité qui ne peut, de toute
manière, que se mi-dire. » (Benjamin
Marriote)
- « Le Zen ne nie donc pas le "particulier", ni la
forme, ni les singularités mais insiste sur le fait
que leur signification véritable n’a jamais
été totalement comprise. La
compréhension du "particulier" n’est accessible
qu’à la condition que nous soyons fermement
établis dans le "cosmique" et que nous laissions
spontanément s’exprimer en nous-mêmes le jeu de
notre singularité continuellement changeante. » (R. Linssen, ibid.)
- « Admettons le principe que les étoiles fixes
s’étendent, à l’infini, vers
l’extérieur; il n’en est pas moins vrai qu’il existe
en leur sein un immense
creux,qui présente
une prodigieuse différence de dimension par rapport
aux intervalles qui séparent les étoiles fixes : de telle sorte que s’il arrivait à un observateur
d’examiner cette seule cavité, même en ignorant l’existence, le
caractère et le nombre des huit corps chétifs
qui accomplissent leurs révolutions autour du centre
de cet espace et à très faible distance de ce
centre, cet observateur concluerait, de la seule comparaison
de ce videavec la région sphérique,
remplie d’étoiles, qui l’environne, qu’il s’agit d’un
lieu particulier et même de la principale cavité du
monde. » (Kepler, in
Koyré, Ib.)
« Avec ses œuvres
« polymorphes », un système
complexe et "lacunaire"
fait irruption dans la pensée compositionnelle en en
transgressant les règles par la mise en
dé-forme d’astreintes et de combinatoires, affirmant
une idéalité non-efficiente… »
(Émile
Belan)
« La Voie du Ciel est
celle
« Qui vainc sans batailler
« Qui répond sans parler
« Qui vient sans qu’on l’appelle
« Et qui œuvre sans se forcer
« Entre ses larges mailles
« Le grand filet du Ciel ne laisse rien
glisser.(Lao-tzeu :
Ib.)
« Mais le scatologique manifeste peut-être
aussi, dans la matière : l’informe, dans le vent,
le vide. Il se produit non seulement en rupture
d’un ordre, mais à ces moments où il ne
signifie rien, où il n’a que faire, de manière
trop bruyante, trop odorante, trop matérielle par
rapport à ce rien. On
peut entendre encore parfois, dans l’humour scatologique,
l’écho de ce rire provoqué par ce qui ne sert
à rien dans le monde de l’usage, par ce qui n’a pas
lieu de se produire par dépense pure. » (Pierre
Jourde, Empailler le
toréador, l’incongru dans la littérature
française,
Corti)
« Mais il ne suffit pas, évidemment, de
répéter comme affirmation vide que l’auteur a
disparu. […] Ce qu’il faudrait faire, c’est repérer
l’espace ainsi laissé vide par la disparition de
l’auteur, suivre de l’œil la répartition des lacunes
et des failles, et guetter les emplacements, les fonctions
libres que cette disparition fait apparaître. » (
Foucault, Dits et
écrits)
« Dans un rhizome, on entre par n’importe quel
côté. Chaque point se connecte avec n’importe
quel autre, il est composé de directions mobiles,
sans dehors ni fin, seulement un milieu, par où il
croît et déborde, sans jamais relever d’une
unité ou en dériver - sans sujet ni
objet. » (Deleuze)
*« Ma théorie des lacunars qui m’a valu tant de
quolibets me paraît maintenant vérifiée
par ces enregistrements : il existe bien, dans l’espace
interstellaire du fissuré, des lacunars où
viennent se nicher des réalités physiques
imperceptibles, impensables. Comme je l’ai
déjà écrit, il s’agit de décors,
d’une construction à l’allure baroque, apparemment
vaine, volumes et vides stylisés à la clef,
pour le seul fait de l’être. Béances ou
hypertrophies, ces lacunars creusent la matière de
l’intérieur telles les termites une termitière
au point que, s’il devait nous arriver de ne pas nous en
rendre compte, tout l’ensemble, le Sein comme disent
certains philosurfeurs, ou la vie pour les phys de chiens,
bref tout s’effriterait, tout s’écroulerait d’un seul
coup. » (Extrait d’une lettre d’Al. Zheimer à J.
Douille).
- Cf.également "Lacunars in the sky", dans Mars
ou Crêve, par
Alexander Zheimer aux éditions PARC.
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