par John Gelder
« Dans ces lieux s’applique un
régime d’exception,
celui de l’arbitraire de la charité,
celui de la dépendance totale. »
R. Brauman
I - Du Défaut.
Le flux tendu des corps - sphères fendillées de toute part. Corps jeunes. Passifs, avec cette sève de violence et d’affect. Ruinés, ruineux, ovnisés, appropriables, corps pourvus, trop familiers, bouches, voix, conscience, croyances, affluant en hordes ensauvagées, gamètes pénétrant de partout l’espace d’une Norme illusoire mais qui a "forte" presse dans le Monde…
Quel Monde ?
Comment extirper ça ? Qui se met au travers du corps et de la
pensée - ou instille sa pesanteur dans l’âme, cette
brumeuse qui se répand dans nos organes, qui infecte notre
sang ? La nuit tranquille, solitaire et… ce Monde… Le troupeau
s’est éparpillé, disséminé,
évaporé dans cette nuit d’entre les jours - et le
Monde. Provisoirement, sans doute. Provisoirement mais au bout de
l’interminable chaîne des provisoires veille le
définitif.
Demain, définitivement.
Un jour à venir. La brutalité, la barbarie du
définitif. L’implosion ou l’explosion des libidii.
L’extinction des feux, toujours, guette le monde des hommes. Un jour,
sous quelque forme singulière, sous une quelconque forme, le
monde des hommes basculera dans le Monde sans hommes.
De ci de là, les prolégomènes. La pensée
en déshérence, les collapsus de l’affect - mises
à l’étiage minimaliste, puis petites
résurrections.
Mais La Rédemption ?
Ce fantasme-là a été mis au rebut. Plus
guère opérationnelle ? « Heureux celui qui lit, et
ceux qui écoutent les paroles de la prophétie, et
gardent ce qui s’y trouve écrit, car le temps est proche » (J. de Patmos). Celui d’une déferlante ?
Nous sommes délivrés de rien mais pleins de Tout. Tout,
- l’altérité qui s’excéda en multiples
défauts illusoirement ajustés. Un jour cela sentit
l’être dans les marais du Levant. Avec l’esprit, advint le
Défaut.
L’ère que voici : celle d’être le premier et le
dernier.
Défaut. Mourir dans le multiple doute pour revivre dans le
temps fini du Défaut. La couronne de vie du Défaut.
Ainsi peut-être le vainqueur ne souffrira pas de la seconde, de
l’énième mort.
Nos bouches furent des glaives. Nos dernières œuvres ont
dépassé en nombre les premières (ibid. 2). Lui, qui
nous jette un lit d’amère détresse. Lui, qui est celui
qui scrute les reins et les cœurs. Lui, qui rend à l’homme
selon ses œuvres. *
L’Esprit ? Plus guère d’hospitalité sous le
Dôme, dans la Sphère, la case de rassemblement - que
promiscuité, que rencontres (virtuelles), que distraction et
concurrence, que maladie, que faiblesse aussi, rêves
habillés en cauchemars, cauchemars habillés en
rêve, et un je-nous, une solitude multiple dans le grand jeu du
Défaut. Voilà l’Esprit de la Jérusalem nouvelle !
Croire à l’injonction : « Tiens ferme ce que tu as, pour
que nul ne te prenne ta couronne. » Nulle tête
cependant à qui elle séerait désormais.
Il y eut des mises en garde : (ibid. 15) « Je sais tes œuvres : tu
n’es ni froid ni bouillant. Que n’es-tu froid ou bouillant ! Mais
parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te
vomir de ma bouche. »
Oui, en vérité, ce fut là le sentiment juste du
Défaut incarné. Nous avons cru être aimés,
mais l’ère du Défaut advenue, on a été
repris et instrumentalisés. Repris, recorrigés,
errants.
Du rêve de perfection à la réalité
éprouvée du défaut, nul chemin, mais
cheminement. Cheminement hasardeux. Rencontres, accidents,
rayonnements, désaffections, bruit et fureur, solitude,
maladie et quelques convalescences. Cheminement. Hors du dôme
de l’ancienne Fable, sphère disqualifiée, bulles et
scories… Demeurés du vrai, transitaires de l’erreur, corps
sans demeure, corps à camps, et rien que cela, à
prendre, à posséder, à jeter… Pour
combien de décennies à venir ? Corps à
camps…
« Créés comme des solutions d’urgence, les camps
représentent petit à petit le cadre de vie quotidien de
leurs "habitants" pendant de longues, très longues
années, parfois des décennies. Sans avoir la
maîtrise du temps ou des politiques qui les concernent, les
réfugiés se trouvent alors de manière permanente
dans des espaces d’exception. N’ayant pas le droit de circuler
ou de travailler dans le pays où se trouvent les sites du HCR
(Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés)
qui les accueillent, ceux qui sortent des camps sont clandestins. Ils
ne possèdent aucune citoyenneté de fait (ni celle du
pays qu’ils ont quitté, ni celle du pays d’accueil). Ils ne
relèvent pas d’autre « droit », en fait, que celui que
dictent les individus qui détiennent là le pouvoir sur
leur vie. » (M. Agier)
(Dans un monde écrit en son dedans et son dehors (5-1),
ayant inscrit la connaissance jusqu’à sa brutale exscription en
dehors du phénomène ; (3) l’œil mis en demeure de
connaître pour satisfaire le pouvoir, celui d’agir dans
l’accroissement d’une maîtrise totalitaire et tyrannique,
jusqu’à l’immolation des sujets et l’asservissement des
objets. Immense est le pouvoir des sachant-se-sachant ? Infâmes
leurs actes pour nous, sous-sachants, transitaires et cheminant ? Ou
bien agit en eux, - et en nous- de façon
privilégiée, le processus défectueux, glaives
boiteuses, cœurs déchirés, vaines thérapies ?)
« Ils sont là dans les tentes de transit depuis des mois;
mais déjà il semble bien les connaître: il menace
un jeune qu’il soupçonne être délinquant ou
voleur, embrasse une jeune femme, est enlacé par un jeune
homme, entre et reste dans les tentes comme il l’entend… »
(Ib.)
Un livre du monde mondain devenu sans repères; et les (11)
voix de l’ordinaire ne peuvent plus que se taire autour du
trône de l’ancien règne, par myriades de myriades et
milliers de milliers. Indigne est devenu l’homme devant l’homme
ancien: indigne de la faute qui se voulait rédimable d’une
quelconque façon (12).
Il n’était plus de temps pour partir en vainqueur pour
vaincre (2).
Il n’était plus temps que pour s’entretuer (4).
Il vint le temps de la marchandise et du marchandage (6).
Il vint le temps des quarts mondes, du déshonneur, de la
famine et des tueries (8).
Le temps des charniers (9).
Car tous ceux qui se croyaient frères étaient
voués à la même fin (11). *
On sortit de l’histoire pour rentrer dans la géologie
terrestre; il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil
devint noir, les étoiles du ciel tombèrent sur une
terre aussi malade que l’espèce: il se retira (12) comme un
livre qui roule, tous, des plus riches aux plus pauvres, se cachant
qui dans leurs abris souterrains, qui dans les rochers (17). Car
était venu le grand jour de la colère et qui pouvait
subsister ? (17).
Il fallut que la grande fraternité de défaut se
constitua - l’espèce solidaire de sa nature accomplie
d’inachèvements et d’effondrements immunitaires. Sur terre et
sur mer, à la flore et à la faune (3) venait la grande
épreuve, invoquant quelque pouvoir disqualifié
d’avance, capable de sauver leurs enveloppes
condamnées ?
Car, un tiers de la terre flamba. Le tiers des arbres flamba (6).
Le tiers des navires furent détruits (7).
Beaucoup d’hommes moururent des eaux devenues amères (11) Et
le puits de l’abîme s’ouvrit, et il monta (2) une fumée
comme celle d’une grande fournaise. Voici l’époque de nos
tourments, car nous savons notre savoir et l’essence de nos actes :
Ahaddon ! Appolyon ! (12).*
Au-dedans, mais contre le Défaut désormais il faut
survivre ou mourir.
Avec le défaut comme prémisse
d’une réalité nouvelle, et une espèce
remodelée par la main "manufacturière" ? « Ce
serait de résister, par tous les moyens, à la mise en
place à l’échelle mondiale d’un régime
d’exception réservé à des millions de personnes
indésirables qu’on cantonne dans des camps, sur des
îles, des ports et autres quarantaines de longue durée,
faute d’avoir à leur égard une réflexion et un
politique inclusives capables de les ramener dans le monde »
(Ib) ? Quelle raison exsudera cette "politique" ? Faudrait-il rendre
désirable l’indésirable ? Cultiver, mettre en culture ?
Corps autrement gendrés ? Mâle ? non, femelle ? non,
neutre ? non - la réponse oraculaire gît dans le
mouvement évolutif qui dans le temps des temps,
historiquement, phénoménologiquement, biologiquement
jeta là les corps récents, aujourd’hui faisant face
à la chose agonique.
Alors, où êtes-vous ? Parmi les prostitués ? Nos
liens se distendent. L’étreinte si peu attachante commise avec
les chefs te dispense certes du règne du travail; dans notre
confinement concentrationnaire, sous l’œil concupiscent ou distrait
des maîtres, tu reçois tes aumônes et crois ainsi
reconnu ton talent. Tu guettes un besoin et, l’exauçant, ravis
du même coup la vedette à d’autres corps en peine de
reconnaissance. Petits diables et diablesses pour demi-démons
(tandis que l’Archonte amasse les capitaux, entasse les
déchets d’uranium, entretienne le feu de la guerre (sainte) et
joue au Casino la survie de l’espèce).
Dans le monde ainsi devenu informe, nous sommes la petite monnaie
morphogène, organique, nombreuse et interchangeable. Cette
interchangeabilité qui nous éloigne les uns des autres.
Stars d’un besoin par semaine, par jour, par heure aussi… Nos
propos minimalistes motivés par une pudeur
déplacée, inutile, dilue cet être-ensemble sans
l’être propre qu’est le nôtre, selon un processus de
désontologie. De séparolologie.
Comble d’ironie, les Archontes ne sont pas de la race des Titans.
Leur puissance, leur félonie œuvrent en surface, fonction
directe de la superficie: tempêtes de poussière,
engendrement de fléaux inédits, mais létaux
toujours… Ce qui nous console de ces Satans, c’est de ne pas aimer
la vie au point de craindre la mort : pour rendre la monnaie de leurs
pièces, nous pressentons que l’une et l’autre se valent, mort
et vie, précipitant de la sorte le chaos des valeurs
fétiches - nous-mêmes fétichisés - au
moyen desquelles les sataniques fictionnent leur Empire.
Notre Défaut constitutif nous porte à
l’auto-célébration suicidaire.
Pour susciter la crainte du Tout-Puissant, nous offrons notre vie
pour une myriade de morts d’équivalants affidés.
La bête à qui nul n’est comparable s’appelle
multitude.
Une première dans la saga de la Folie de l’espèce.
Psychose de la reproduction : "Ma progéniture est mon
assurance vie" ou : "Il nous a quitté à ma naissance,
nous étions quinze, j’en ferai seize pour me venger de lui" ou
"Cela se fait comme ça" ou "On m’en a commandé trois
pour la recherche", sept milliards - et des milliards d’existences en
miettes voués (57% ?) à l’asservissement, la noyade, le
suicide, la solitude ou le Dispositif de Jouissance du Monde de ceux
qui, au jour le jour, font le Monde qui déjà n’est plus
que Géhenne.
La bête des flots de Patmos. L’arrogance de sa bouche est la
nôtre. La bête à qui il est donnée de
combattre les saints faux-monnayeurs. La bête adoratrice de
tous ceux dont le nom n’est pas écrit (13/8) depuis la
fondation du Monde nous désunira en une délectable
conviction morose. * En nos esprits elle est imprimée comme
l’image de nos frères déchus depuis le début de
l’ère du Défaut.
Ainsi, contre le Défaut nous cultivons en nos corps
l’apogée du défaut, jusqu’à son apocalyptique
consommation.
Lisons un rapport, prenons connaissance d’un principe
théorique, avisons le réel : tout faux ! Toute
prévision est mauvaise vision. Pour l’œil et le cerveau de
l’anthropoïde, croire en la nature-telle est folie, comme une
foi unique. Écoute la voix extatique du vieux prophète : "C’est pourquoi soyez dans la joie, vous les cieux, et vous qui
y avez votre demeure". Démence ! "Malheur à vous,
la terre et la mer, car le diable est descendu vers vous,
emporté de fureur, sachant que peu de temps lui reste"
(12,12). Démence qui ici tombe néanmoins juste. Devant
la face de l’anthropoïde : l’aléatoire. Faisons face
à l’aléatoire. Ne croyons à rien qu’à la
violence de l’instant, à la lame qui pénètre,
à la main qui caresse - c’est le même crime, la
même perversion aux effets aléatoires.
Croire en la nature est folie. Se réclamer de lois de la
nature est folie. Newton fut dépassé par Planck, puis Planck
par lui même. Un quanta vrai multiplié par un quanta
vrai, exposant énième est une quantique fausse, un
cantique dissonant.
Sciences exactes signifie avoir vite tout faux. Rien de ce qui est
centrique n’est vrai; l’homme moderne, (une ou deux fois
dix-millénaire) se croyant humain a tout faux - il est
défaut. La chose humaine est vraie quand elle engendre ou tue.
La science de Newton dit vrai pour la gravité du globe. Mais
éloigné de lui, sa loi est effet d’un autre effet (hors
cause, donc nihil), elle ment, elle trompe, elle se leurre, le
défaut apparaît dans "son" universalité, le corps
explose. Toute loi est donc à la fois vraie et fausse,
selon.
Ce qui n’est pas "selon" dans ton esprit - et l’esprit est incapable de
vivre ce selon -, te précipitera dans la violence : mort,
maladie.
C’est ainsi qu’un arbre est un cercueil. C’est ainsi que le bon
oiseau est de mauvaise augure comme le bon augure peut provenir du
mauvais oiseau.
C’est ainsi qu’il y a des lacs de schiste et de fontaines de granit.
C’est ainsi que la chrysalide devient feuille. C’est ainsi que la
montagne crache du feu, l’oxygène devient suffocation, le
soufre bénédiction… C’est ainsi, c’est ainsi… C’est
ainsi que tu adores l’immonde que tu abhorres. C’est ainsi la magie.
La folie se sachant Défaut, le Défaut chantant, et ces
voix qu’on entend dans une douce démence, comme le chant de
joueur de harpe effleurant son instrument. Mais les Sirènes de
l’autre fable, plus fiable… C’est ainsi l’instrument, c’est ainsi
le toucher et c’est ainsi que nul n’apprendra en dehors de
l’aléatoire du Défaut. Ce sera ainsi : magie
morphique.
Pour connaître la magie, connais tout mais ne te connais pas
toi-même. Ou, plutôt, oublie-toi et regarde les regards,
les yeux et derrière eux, intensément. Réel
inclus. « Aujourd’hui, plus que jamais, les leçons des
romans de M. Duras sont d’actualité: la façon - la
SEULE façon - de vivre l’accomplissement d’une relation
(sexuelle) PERSONNELLE intense ne consiste pas pour le couple de se
regarder dans les yeux en niant le monde environnant, mais, main dans
la main, de regarder ensemble vers l’extérieur, une point
tièrce (La Cause pour laquelle tous les deux combattent, dans
laquelle tous deux s’engagent). » (Slavoj Zizek, Homo Sacer
in Afganistan, Lacanian Ink, N° 20, New York)
Mon grand tourment n’est pas la Mort - a fortiori pas la mienne ! Mon
grand tourment est l’ignorance de l’hominien quant à l’ampleur
du crime qu’il porte involontairement en lui. Ma grande
révolte s’adresse aux sous-hommes - agents et
opérateurs et quelques milliards de complices - tueurs
avérés du vivant et dont me console (tristement)
l’idée qu’ils crèveront comme les autres : que leurs
cadavres soient donc maudits !
Vous, petits prostitués, venez. Je vous montrerai le jugement
de la grande prostituée. Avec elle les rois de la terre se
sont prostitués, et les habitants de la terre se sont
enivrés du vin de sa prostitution (17,1).
II - De l’Anti-Défaut
Comment définitivement vivre avec la certitude d’un
monde humain bientôt irradié à plus soif ?
Comment vivre avec la certitude finale que le quatrième
holocauste aura lieu, les tickets explosifs étant en analogie
absolue avec le défaut qui provoquera la réaction
mortifère fatale ? Que le défaut à court terme
est à la base même du cataclysme. Défaut
phylogénétique, ontologique d’un corps
transféré mathématiquement, techniquement dans
la machine (numérique) : symbiose diabolique, dépassement
nécromagique de l’abstraction binaire dans le trou noir du
principe de la contradiction.
Comment ?
Comment dire aux vivants qu’ils sont mort déjà de par
leur propre volonté d’être plus vivants que vivant, et
qu’il y a là peut-être une chance ?
Tu veux vivre ?
Tu veux vivre aujourd’hui ?
Tu veux vivre aujourd’hui dans l’environnement du monde des hommes ?
Alors tu vivras en sachant ton être confiné
sans issue contre le rempart de l’extinction et face aux gouffres de
la mutation.
Magie ! Tu n’es plus ou alors tu n’es déjà plus qui tu
es.
Magie tiède, ni brûlante ni froide, qu’en faire ?
« Il est donc une loi dans la nature, c’est qu’il y a une
influence mutuelle de la totalité des corps, et
fréquemment elle s’exerce sur toutes les parties
constituées et sur leurs propriétés… De ces
parties éminentes ou extrémités,
s’écoulent et rentrent des courants… Les crises sont plus ou
moins évidentes, plus ou moins salutaires, naturelles,
occasionnées… » (Mesmer, P.Sloterdijk, 247)
Quelle mesure politique défectueuse contre le myriadique
défaut ? Quelle mesure pure m’épreint de vive sensation
faunesque, floresque, scrofuleuse ou enivrante ?
J’aimerais que tu parles comme parle l’anus du Taureau. J’aimerais
voir à travers ton œil comme le bonobo hume la vulve de la
femelle. J’aimerais te voir sévir comme un nombre entier dans
une fuite mathématique.
J’envie la connaissance de la bouteille en qui l’ivrogne pique du
nez. Participer à la noyade de l’ovule dans un bain de sperme
où naît la vie. Extirper de ton cœur tous les
méandres qui composent ta (défectueuse) voie royale,
comme l’aigle arrache les boyaux de la charogne.
N’y a-t-il pas des étoiles cannibales en dépit des
cieux intègres ? Te connaître éminemment comme
l’eau opulente le lit des fleuves. Être de tous les
étiages, du limon sec et craquelé jusqu’aux
débordements diluviens. Être le bris du glacier et
laisser sourdre de mon ventre la brûlure qui réchauffe
toutes les planètes.
Être enfin dans le régime du Défaut, infime
mais infini - enveloppant mais invisible - nulle part, mais nu et
ouvert de partout.
Comment ? Se départir du préjugé d’être de
l’Être ? Recoller définitivement les deux moitiés
de la chose, l’exhibée et l’inhibée, le turgescent et
le trou, mêler dans un même spasme et dans un même
corps d’abondance la source et le torrent ? Inviter dans le lit de
Procuste le tiers exclu ?
Être accoucheur de chance.
Songer à la réparation du défaut constitutif
à l’ensemble - à l’instar d’autres règnes du
vivant dont il est vrai, si biparité il y a, celle-ci ne porte
pas à conséquence. Le mollusque n’est pas
défaut, le rut du poisson chat ne se manifeste pas en
râle sous ma fenêtre, on ne demande pas aux rats de
rédiger une Déclaration des droits des rongeurs ni
à un colibri de chanter la Traviata, seul le double Sapiens ne
se contente pas de compter les lunes, il lui vole le Symbole. Il en
résulte pour lui le comportement erratique d’un animal
sophistiqué dont les valences s’aménuisent vers le
négatif, la dérégulation systolique, puis
systémique. Le gai savoir d’une race fiable tournant au vilain
et multiple mépris de races faibles. Le
déséquilibre des valences aboutit fatalement à
la revanche de la vie sur le vie montée en puissance. C’est
elle, la bête, qui va sortir de l’abîme et s’en aller
à la perdition. Et l’on cauchemardise avec Jean sur la
montagne des sept têtes où réside la femme. La
grande cité qui règne sur les rois de la terre, la
ville écarlate s’entraînant dans la ruine. "Et les
marchands de la terre pleurent et prennent le deuil, car nul
n’achète plus leurs cargaisons, cargaisons d’or et d’argent,
de pierres précieuses et de perles, de lin et de pourpre… de
bois de senteur, d’objets d’ivoire, de fer de marbre… parfums,
myrrhe et encens… esclaves et captifs… Malheur, il suffira d’une
heure !" Oui, la montée en puissance du règne du
défectueux aura dicté sa loi apportant l’incoercible
nouvelle de la fin de l’histoire… Et c’est ainsi qu’on voit des
hommes, déjà crasseux de noirs habits, se jeter du
cendre sur la tête.
Que faire de cette piétaille sans nom ?
Astiquons notre imagination !
Tel est le lot des engendrements aveugles, car l’enceint est aveugle
et la parturition gravide de bourdes. La récolte n’est pas
conforme à ce que j’escomptais de ma semence. Ils appelaient
cela des fils, déjà, les scribes de Perse, d’Anatolie,
de Mésopotamie, de Crête. Eux-mêmes ont compris
l’inconvénient d’être père : les
créatures écloses fraîchement les craignent, et
finissent par haïr d’amour craintif ce par quoi ils ont
été mis au monde. Mon bâton bas-ventral, mon
scalpel, mon ciseau de sculpteur ; cette main ventrale qui modela -
avec le ravissement chtonien de la nuit et le frémissement
aérien de l’aube - en la pâte vitale la figure du
bien-aimé moâêtre. Le jeu, croyais-je,
valait une myriade d’ardentes chandelles.
De les voir, autonomes, identiques à moâ, croissant et
paradant, s’alanguir sur les cépages, frayer dans les
buissons, Moâ, désincarné, principe actif de
l’être, magicien des phénomènes, le soudain
inassouvi, le primordial Éros !
J’aimais si parfaitement que je n’en éprouvais plus le besoin
d’être dieu. Processus fascinogène. Moâêtre
fascinogène débordant sur l’univers de la convoitise ;
la replication de un en un jusqu’au nombre deux, sui generis,
telle lumière, tel soleil, microdrame d’énergie
s’excédant, infection subtile, œil de esse à
œil pinéal, pénétrant jusqu’à curare :
Pourquoi lui inventai-je le sang et autres liquides doués
d’être ! Voulais-je me baigner dans mon plaisir d’être,
m’ébrouer hors de l’absolu, asperger celui-ci de jets de
contingence, ou alors m’incarner en eux et voyager à travers
l’absolu, amoureux d’ornements périssables ? Violer l’absolu,
la farce !, et le réduire à l’animal sorti de tous les
possibles et c’est ainsi que le jeu devin devint le jouir divin !
Je m’enivrai de moi et de ma créature, dans la convulsion de
l’engendrement du tout, au plus obscures entrailles du rien,
jusqu’à en devenir vapeur - vaporis - infectant ma
créature de tous les désordres de la jouissance.
Intoxiquée, elle devint moi. Moi me reprenant un instant, elle
un instant m’oubliant, elle devint phénomène. C’est
ainsi que j’appris à tisser les espaces temporels entre deux
états d’être - l’absolu et le contingent - étant
l’un, devenant drogue, philtre dans l’autre - passant de
l’état de créateur à celui, mobile et cheminant,
de créature. Tout-Puissant dans un Empire, je me faisais
transfuge - Elohim -, hors de lui, transplantant ma mouvance en ma
créature. Elle en devint - l’ai-je dit - multiple, sans que
jamais sa multiplicité ne pût atteindre l’absolue
totalité. À la limite extrême de la
multiplicité je plantai un bâton - une borne
au-delà de laquelle le tout l’absorberait.
J’appris donc à manger ce savoureux époux sorti de mes
membres d’engendrement, tout comme - redevenant ce que j’étais
quand je "était-celui-qu’il est", je décidai de vomir
mon délectable mets devenu soudain insipide, voire
rebutant.
« Que les amants portent réellement le désir
d’absorber entièrement en eux la personne aimée,
Artémise, épouse de Mausole, satrape de Caries, le
prouva, elle qui aima son époux de manière si
démesurée qu’après sa mort, elle transforma le
cadavre de son mari en poussière, le déversa dans l’eau
et l’avala. » (De Amore, Ficin).
Ce jeu d’ingestion et de vomissement, de rapprochement et de
distanciation devint ma loi quant aux phénomènes de
l’engendrement terrestre - perçu hélas par mes
créatures comme une théorie duelle. Hélas, oui,
car si ce duel pour les dieux est engendrement du tiers, pour l’homme
il est doute, calcul, entassement et croissance et, finalement,
compétition, donc conflit à main armée et corps
morts.
Et puisque chaque créature terrestre est unique en son tronc
et multiple dans ses membres inférieurs sur lesquels elle se
meut, court, trébuche, shoote, piétine - en bas, donc,
elle constitue piétaille. Celle qui m’assaille et a su
à son tour m’intoxiquer (jusqu’à devenir archonte, son
archonte !) au point que j’en viens à me demander si tous mes
cheminements ne mènent pas à toi, dévote
créature, ciboire de mes déboires… ! M’oppose-t-on que
l’enchantement sexualisé ne peut mener qu’à
l’épuisement et à la déception ? Je propose
alors de hisser l’attiré sur le toit de l’être.
Pour un jour épuiser l’être putain d’en-bas, fais
le sauter sur le sommet de la demeure !
Le défaut, ce petit fluide hypnotique que j’instille dans le
phénomène pour, archonte provisoire, en jouir, m’en
régaler, m’en épuiser, faisons-en un objet de
décor pour l’Olympe, sois mon abat-jour, le liseré de
ma couche diabolique ou divine, dorure de ma cage à anges, ma
brosse à reluire l’être, trousseau pour de prochaines
épousailles, martingale de ma terrestre magie, manche de mes
divines épées, pépite d’eau pour mes prochains
déluges. Voilà une proposition de politique apte
à “affecter” le régime d’exception…
Nous avons besoin de catins pour satisfaire les plus hautes exigences
du corps, qu’on appelle âme mais qu’aussi bien on pourrait
nommer les génitoires de l’esprit. En bénissant le
phallus c’est l’esprit qu’on honore, or bénédiction ni
exactement phallique ni divine, mais phalline. "Le lien
consiste donc en une certaine concordance non seulement des membres
les uns par rapport aux autres, mais aussi dans une certaine
concordance de l’attirant vers l’attiré… Le lien n’attire
pas l’âme s’il ne peut l’attacher et la lier… D’une
manière générale, le lien atteint l’âme
par la connaissance, la relie par l’affect, l’attire par la
jouissance."(G.Bataille in Sloterdijk)
C’est dans la mesure où me déliant en vous, perdant
ainsi mon unité, que votre unité problématique
retrouve sa bonne valence qui, elle, ne vaut conséquemment que
par le décentrage par rapport à la loi univalente.
Cheminement pour tous, transdescendante pour l’unité
illégale - transcendante et roublarde pour la
multiplicité légale (normative) -, jusqu’au point de
jonction, au terme du balancement aléatoire, où
l’attirant et l’attiré se compénètrent selon un
degré de symbiose glorieuse. Car "le lien n’agit pas de
la même manière depuis toute chose sur toute chose, il
n’agit pas non plus toujours, mais seulement dans la constitution
adéquate dans ce qui est constitué de manière
adéquate ."(GB, 240 Sloterdijk)
Adéquation des pôles -
bipôles, tripôles… mais toujours autant, ni plus ni
moins, que peuvent préhender les attributs de deux corps qui
respirent, boivent, mangent, sont
dans leur espace d’exception, leur Real-Eden.
Alors, demandons-nous si l’on peut se prévaloir d’attributs
pour préhender la foule. Non. La foule n’a pas besoin de
"cette" magie, mais de loi, naturelle ou policière, de
dépressions et répressions immunitaires ou
infectieuses, pharmacologiques, elle est océan
d’opacité et de démesure cependant, marées
ascendantes et descendantes où le mage du feu de l’envie
prélève, en vers vagues et houle, le menu fretin,
l’algue, le poisson sabre, la crevette ou la baleine avant leur
métamorphose une fois qu’ils sont ramenés au sec,
soumis à la catastrophe du sec; le fretin
hétéropolaire apte ou non à muter vers la chose
unipolaire qu’on pourrait appeler processus de transpolarité
ou, simplement, de transport ou de déportation vers l’espace
d’exception et son singulier Régime avenant.
Transpolarité uni- et bipolaires dans l’empire des
engendrements heureux.
L’inventivité et l’affinité pallient le temps
retrouvé, étant entendu que le temps originel, celui de
la soupe primordiale - ce vomitif qui te rattrapait toujours sur ta
langue avant l’engendrement dans l’Empire du défaut
avéré - s’est enfin perdu en chemin, en cheminant dans
le camp de ses transfuges foule-moule.
Désormais, dans l’Empire du défaut avéré,
des temps, des points temporels se génèrent; ceux-ci
également copulent hors de l’Empire universel qui capitalise
la richesse cosmique - le chaos - et dont les déchets seuls
sont impartis aux exclus sous-équipés en
générateurs et capteurs d’ondes magnétiques
filtrants. Cela même fait des exclus du temps et de la
mémoire originels les inclus tonifiés du temps et de la
mémoire immanents. Ce n’est plus un homme, mais toute une
génération que l’Empire du défaut a mise en
croix. Une correction - un martyre - unique ne suffit plus à
la tâche ; sois prodigue et tu seras élu, christ parmi
d’autres christs, pénétrés d’un même
fluide amoureux. "L’Homme étant constamment
placé dans les courants universels et particuliers, en est
pénétré; le mouvement du fluide modifié
par les différentes organisations, devient tonique. Dans cet
état il fuit la continuité des corps, le plus longtemps
qu’il peut, c’est-à-dire, vers les parties
éminentes. (§ 160)... La position respective des
deux êtres, qui agissent l’un sur l’autre, n’est pas
indifférente; pour juger quelle doit être cette
position, il faut considérer chaque être comme un tout
composé de diverses parties, possédant chacune une
forme ou un mouvement tonique particulier : on conçoit par ce
moyen que deux êtres ont l’un sur l’autre la plus grande
influence possible, lorsqu’ils sont placés de manière
que leurs parties analogues agissent les unes sur les autres dans la
position la plus exacte. Pour que deux hommes agissent le plus
fortement possible l’un sur l’autre, il faut donc qu’ils soient
placés en face l’un de l’autre. Dans cette position, ils
provoquent l’intention de leurs propriétés d’une
manière harmonique et peuvent être
considérés comme reformant un tout"] (§
236 - K.C. Wolfart, Sloterdijk, 247).
L’extase alors n’outrepasse constitutivement guère la bi- ou
tripolarité, mais se reconduit dans le régime de la
résolution exceptionnelle du défaut.
L’intimité n’est donc pas le temps retrouvé, mais le
temps chaque fois réinventé des constellations intimes
extraordinaires au cœur même du régime
défectueux. De même, l’infiniment natal - de
l’engendrement exceptionnel cheminant - se substitue aux diktats du
présupposé prénatal. Tout comme la psychologie
du lieu transdescendantal se substitue à la psychologie des
profondeurs objectives. Voilà comment l’Empire du
défaut trace le chemin menant au statut du citoyen d’exception
comme animal divin.
Vous êtes déjà fauvé
J.G.
© 2006 : Gelder [Parc]
* Oikos (du grec "οἶκος": demeure). Ouvert: " le ciel pour couverture, la terre pour oreiller "… Ce n’est que par le vide, oule creux des pierres, qu’il est possible d’habiter : L’âme du souffleur se transporte dans la bulle (Sphères II). Note Jaherson. (2012)
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