John Gelder présente
Rupert Seed
LA HAINE DU VIVANT
L’après-Prosthesis ou le fondement d’une nouvelle épopée ?
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Photo : Hayette Soussou |
(…) Tout le drame du petit humain s’accomplit sous ses propres yeux : l’homme dans l’humanité et l’humanité dans l’homme achèvent leur cycle. Le poids de la transformation (des espèces) et celui de la volonté phallique, laquelle (les technologies aidant) accélère en surdéterminant cette évolution, engendrent leur propre fin (hégélienne). Cent ans après Nietzsche - annonçant la mort de Dieu -, enfin la disparition de sa vilaine créature ? Et place nette pour une nouvelle entéléchie ?…
(…) Le vivant n’est pas LA chose humaine, il est simplement spécifiante, c’est-à-dire qu’il crée de l’espèce et, notamment - voire même incidemment -, de l’espèce humaine. Le vivant est un producteur de tout et de rien, un temps-espace grouillant de phénomènes et d’antiphénomènes où la "niche hominienne", le monde-terre et ses bouillons de culture, figurent un Étant mouvant et agité.
(…) Pour paraphraser Anaxagore, on peut dire que "l’histoire hominienne est l’effet d’un jeu moléculaire, d’un bricolage génétique en amont et, en aval, de la rencontre hasardeuse entre un mammifère complexe et un caillou". Le jour, pour nous lointain, où le premier hominien devint un interlocuteur entre lui-même dans son animalité et la pierre dans sa minéralité, il s’engendra, sans le savoir, comme l’interface entre deux entités qui, au cours des millénaires ultérieurs, allait produire l’outil scientifique comme objet anthropotechnique. En réalité, le vivant, la pierre et l’interface hominienne se constituèrent comme une entité symbiotique dans le mouvement évolutif universel. Il n’y a en somme jamais eu qu’un jeu de dialogue contendant, qu’un feed-back minéral à l’intérieur de cet objet spécifique et interactif : l’hominien-pierre. Alors put s’inaugurer un rapport entre choses de même nature; entités hominien-pierre - la pierre imprégnant l’hominien, conducteur et agent d’information, d’une dynamique autre, disons nouvelle. La pierre comme outil, la pierre comme miroir, la pierre, surtout, comme langage - langage de feu, de guerre, de survie. Avec la pierre commença la science, l’histoire et l’érection des premiers éléments à la fois carcéraux et de destructeurs de ce qui serait la "niche humaine". La pierre comme premier symbole de sédentarisation, la pierre bâtisseuse, la pierre dissuasive, offensive ou défensive, accompagnée de mots d’ordre aussi divers qu’insignifiant eu égard le cosmos.
(…) On a vu que le fétiche s’est constitué dans l’interstice ombrageux de l’objet du vivant et de sa disparition annoncée. Pour le World Wide Fetichism (WWF) le problème n’est pas de savoir si, par le génie génétique et autres technologies, le genre humain parviendra à la maîtrise de son corps et, enfin, à l’immortalité et l’innocuité de celui-ci, mais de redéfinir la corruptibilité, l’essence contingente de l’espèce Sapiens, la nôtre donc et plus singulièrement celle des "genrichs" (Cf. Lee Silver). La haine du vivant à l’œuvre est le moteur, l’énergie mortifère qui envisage la transformation à l’échelle d’une culture unique, au demeurant déjà largement disqualifiée voire délitée, l’ayant dénuclée en quelque sorte. Haine à quoi aboutit toute réification d’un phénomène isolé inféodé au Dispositif global. Rien que de normal, si ce n’est qu’il en va ici d’une aberration qui résonne bruyamment dans champ du sensible d’un objet mondain et qui, si elle ne conduisait que cette seule espèce à la ruine, serait seulement pathétique. Mais ce sont toutes les espèces, le vivant constituée au plan de toute notre biosphère, qui sont en jeu. La demeure de l’humanité est celle d’un suicidé en puissance doublé d’un criminel millénaire. Nous ne retiendrons principalement donc que l’aspect pathétique de ce comportement aberrant et évidemment pathologique. Car qui dit pathologie dit thérapie, le rajout d’une marchandise à un sujet économisé : Prosthesis. Envisager le contraire de la réification, donc désarmer l’être de la chose, se déchoser comme on se déchausse - pour continuer sur la pointe des pieds sur le processus de transformation. Exorciser le fétichisme prosthésien, ou se mettre à l’étiage d’un presque rien, voilà l’alternative. Car ce n’est pas l’amour du vivant qui fera taire l’objet de la haine et la haine de l’objet, mais l’indifférence - celle du tumulte silencieux qui règne au-delà des cultures, des objets, des planètes, au-delà même de ce qui n’est pas… Or, cette révolution mentale se situe si loin du champ du sensible qu’on peut se demander si la cure vaut l’effort, si la haine en fin de compte n’est pas plus vivable, supportable, jouissive pour l’être du vivant qu’est l’hominien. Faut-il se sauver du fétichisme ou sauver le fétichisme, en se disant - peut-être en fermant les yeux - que rien n’est absolument grave, qu’il n’est tout simplement pas possible de réifier quoi que ce soit au-delà de la chose.
(…) Revenons (en modestes anthropologues) à la révolution néolithique et sautons le cap jusqu’à celle du "biolithique" (H. Kempf). Le Breacher est une espèce impure, une mutation voulue par le phénomène couplé : homme-outil. Le Breacher, comme la bombe, comme tout ce qui dans les phénomènes-réalités secondes, tierces… dépasse en la violentant la conscience de son manufacturier, crée une discontinuité dans l’histoire plus ou moins linéaire du monde mondain. Le couplage sapiens-technologie agit et nomme le Breacher (clone embryonique) en quelque sorte par pure surprise, dans le dos de son manufacturier.
(…) Penser, dès son origine, c’est penser contre la Nature, au bénéfice de l’être. Mais absolument n’importe quel être ; aucune hiérarchie ou prééminence de l’être. La vision qu’a la poulpe de l’élément "océan" équivaut à la vision du monde d’un hominien "pensant". Toute ontologie se fait négativement au regard de la Nature. L"horizon soustractif" (Badiou) donne de la consistance à l’être et révèle sa situation tragique et impossible au sein du jeu de la Nature, car cette consistance est purement fictive, contingente et aléatoire, susceptible de n’être plus à tout moment. Mettons que la négativité fonde l’être, tout comme l’indifférence de la Nature à l’égard de tout objet "au hasard abandonné" (Héraclite) peut constituer l’origine de l’être ; un déchet, une poignée de poussière bactérielle tombée de la Nature, dans la nature, peut se constituer en être, comme un dé s’immobilisant (un temps) sur un nombre "trois" donne de l’être à ce trois (…) La Nature ignore l’altérité, puisqu’elle est tout et rien à la fois. Ce qui fait de tout être le produit d’un crime sans mobile, et de tous les êtres des coupables éternellement à la recherche d’un faute. C’est la terrible nouvelle que ne cesse d’insuffler à l’être toute connaissance du vivant, de sa corruptibilité, de sa situation contigence dans l’espace-temps, donc de sa mortalité.
(…) Si "nous" nommons le Breacher, on reste dans le mondain. C’est une sous-doctrine qui ne touche pas l’univers, qui demeure à ras du mondain, qui n’épouvante pas les étoiles et - a priori ou a fortiori - n’influe pas sur l’expansion, la concrétion ou la masse critique de l’univers (alors que dieu est affecté à l’éternel, l’infini, donc à l’univer(sel), en quoi il s’est rendu doublement impardonnable). Le Breacher naît et joue sur la scène du théâtre mondain. Dieu ne le convoque pas, c’est plutôt le Breacher qui convoque dieu, pour en jouer ou pour se jouer de lui. Un peu ange, le Breacher rabat le caquet à dieu, à tout concept d’unicité; il joue avec la chair : il est tantôt chair incarnée, tantôt chair fait verbe. Du révélé fait sur mesure (ou démesure). La Passion du Breacher dure le temps d’une passion. Il est peut-être immortel, mais pour te plaire, il mourra. Un anarchiste par empathie.
MAIS LE BREACHER PERMET D’EN FINIR AVEC LE SAPIENS, il crée le fondement d’une nouvelle épopée.
(Extrait de "LA HAINE DU VIVANT", Rupert Seed)