turbulences
Ceci étant
posé, je n’hésite pas à affirmer SOMMAIRE de l’ouvrage : Homo nec plus ultra
? p. 7
Quand l’image, à ce point transgénique,
nous émeut et tord nos tripes, nous sortons et
déambulons. Où donc nous mène cette
flânerie ? Sur un banc où l’on
réfléchit. Au Musée de l’Homme. On peut
y voir des cavernes reconstituées, le mausolée
fleuri de Leroi-Gourhan, de vraies tombes, quelques os
archaïques, la cousine de Lucy, des vraies traces de
mains, des mandibules d’ancêtres honorables, nos
anciens initiateurs de cueillettes, nos habiles chasseurs,
nos futurs dessinateurs de bisons et de troupeaux de rennes.
Nous voilà devenus sans voix. Que de surprises, que
de perplexités ! Issus de ces frustes esquisses
humanoïdes, de ces charpentes simiesques ahanant dans
les steppes et les forêts, munis pour tout instrument
que de grattoirs aléatoires, ignorant tout,
méconnaissant alors le Logos, adaptés au pire,
résignés à la mort comme à la
vie, troupeau glorieux et pathétique de notre
histoire, horde trébuchant dans les recoins obscurs
de la mémoire. Il reste un malaise persistant, cette réflexion urbaine, celle du flâneur bénévole, citoyen ébahi, individu récalcitrant, perplexe, circonspect. Quels sont donc les présupposés des scientifiques ? Leurs travaux ne sont pas toujours réalisés dans les conditions définies par eux, sévèrement requises, rigoureuses, exigibles, d’asepsie intellectuelle. De l’Homo habilis à l’Homo mutans, engendrée par les inventions débridées de la biologie, l’histoire de l’homme est objet d’investigations diversifiées : le chercheur, ce décrypteur, le biologiste, le paléontologue, l’anthropologue, suivis aujourd’hui par le créationniste-intelligent new age interrogent l’homme, l’ADN ; le new age explique divinement la complexité de la cellule. Rien ne vient jamais démentir des affirmations assenées comme postulats. Pas de vérité hors des jeux génétiques. Qu’est-ce que la nécessité ? Comment expliquer les combinaisons hasardeuses quand les modèles mathématiques font loi et obligent à un acte de foi ? Pourquoi la science bénéficie-t-elle de tels préjugés favorables, d’un tel crédit, illimité, à fonds perdus ? Qui étalonne les critères de la vérité, de la réalité fluctuante. Aucune alternative n’est proposée entre les réactions niaises de l’obscurantisme et les audaces d’une anthropotechnologie dogmatique à l’œuvre. S’il y a une scène où opère la science, d’où vient le soupçon qu’un nouveau discours est obscène, littéralement en dehors de toute représentation humaine cohérente ? Quel prix exorbitant l’espèce aura-t-elle à verser quand une autre forme d’anthropoïde fictif, mes arrière-arrière-petits-enfants, rejetons d’une espèce nouvelle, apparaîtront sur terre ? Imaginons la réalité : La moitié de l’humanité morte de misères endémiques, disettes organisées, soifs, exodes, maladies nouvelles, épidémies anachroniques, pestes buboniques, tuberculoses résurgentes, l’autre moitié encore vivante, que fait-elle de son triomphe ?Quels sont les rapports entre les pouvoirs et les laboratoires qui œuvrent, poussés par le progrès qui engendre de nouvelles expérimentations ? Qui décide ? Comment contrôler la fiabilité, comment évaluer la rigueur, tester, vérifier, authentifier « l’humanité » des scientifiques ? Quelles sont les perspectives d’avenir, quels sont les risques incalculables d’anéantissement, nos possibilités de survie dans une terre mise à mal insidieusement, violentée chaque jour. Nous sommes mis devant les hauts faits accomplis par le saint Graal retrouvé, l’élixir alchimique des technosciences et crions au miracle quotidien. Plus de vieillesse, victoire, DHEA, plus de mort, bientôt plus de procréation naturelle dans des conditions inadmissibles : coït, grossesse, vagissements dans les eaux et le sang répandus d’une vie nouvelle. Archaïque ! Un humain d’aujourd’huine se reconnaît pas facilement dans cet être préhistorique aux sourcils proéminents, dolichocéphale, à demi érigé, tentant de survivre et de s’adapter à l’hostilité de la nature, du froid, de la faim, des maladies et des prédateurs. Notre ancêtre - Néandertal - ?, ce misérable prototype approximatif ! Il se transforme. Outils agraires, culture, fresques. Que disait-il ? Il faut attendre les premiers contrats de cession de biens, les premiers clous de fondation d’une ville, quelque tablette cunéiforme au contenu élaboré pour s’identifier aux inconnus d’un autre âge. « Que le couteau du boucher se retourne contre son enfant », dit la malédiction d’Agade. Que l’abattement tombe sur le palais construit pour réjouir le cœur ! « Il faut attendre le langage et l’histoire pour comprendre la pensée des hommes et se reconnaître en elle. » Aujourd’hui rêvons éveillés. Interrogeons le prognathe en nous. Demain, imaginons le gnome de fiction, le surhomme aux pièces interchangeables. Une âme ? Qu’est-ce que c’est que cet appendice non fonctionnel ? Plus besoin. Devenons lucides à défaut d’être éclairés. Rouvrons le dossier Oppenheimer.Hiroshima, histoire déjà ancienne et tombée dans l’oubli ? Pour trancher le débat, affaiblis par l’excessive confiance, la naïveté et l’ignorance fatale, faisons appel au tiers, au juridique, au droit. Que soient convoqués, à Genève comme à Nuremberg, les avocats du diable. Nous avons dans l’Histoire des précédents fâcheux, des répétitions sanglantes, certaines barbaries qui ne disaient pas leurs noms, qui avançaient masquées, nous avons vu des cerveaux brillants se révéler après coup de délirants paranoïaques, mus par une logique irréfutable, hors du champ de toute symbolisation possible. Il n’y a pas d’objectivité ? Dieu merci ! Nous voilà rassurés. Quels sont les effets sur plusieurs générations d’un enfant né de gamètes inconnues et congelées. Que l’on réalise des études épidémiologiques. Étudions les résultats. Il faudrait interroger épistémologiquement le mythe darwinien, le créationnisme, comme la biologie sur ses cadres de formalisation. C’est un devoir citoyen. Procès d’intention, débat ouvert au néophyte. Des jurés dans ce débat, non experts, vox populi béotienne requise pour un appel au simple bon sens, à la sagesse ? La technologie scientifique s’enferme dans la toute-puissance d’une connaissance discursive enfermée sur elle-même. On ne peut admettre que la science soit investie d’un pouvoir tel qu’elle fasse désormais appel à la croyance, aux superstitions les plus contestables. Nos cerveaux n’ont jamais été plus beaux, plus volumineux. Qu’ils défaillent ? Il y aura pour tout un palliatif possible, une molécule chimiquement réparatrice. Ô miracles et panacées, bientôt munis d’appendices hautement préhensibles, nous mesurerons deux mètres pour attraper les fruits d’une connaissance de plus en plus haut placée. Nous admettons tout ce qui flatte la notion d’intelligence, trompés par ces excès d’une réalité fantasmée, validée par autoproclamation. Personne ne peut affirmer que l’homme nouveau, objet et non sujet d’expérimentations biologiques, n’est pas un homme artificialisé par le pragmatisme effréné des laboratoires. L’humain est traité comme une production de l’homme, à la fois divinisé et mis à la poubelle. Que fera-t-on des embryons ratés ? Pourra-t-on jeter ce déchet, là, qui ne dit rien ? L’homme nouveau n’existe pas encore. Il se fabrique au jour le jour, banque d’organes, phénomène gémellaire, non-individu, bricolage génial, parfait, chosifié, immortel, déifié et simple déjection. L’homme est en trop d’une humanité qui n’en aurait plus besoin. Refaisons donc nos humanités. Il faut tout relire : les textes bibliques, Durkheim, Darwin, Mauss, Marx, Freud, les mythologues, les anthropoanalystes, les structuralistes, assistons aux débats sur les neurosciences, et, désenchantés, laissons décanter, sceptiques, ces magnifiques innovations devant un verre d’excellent bordeaux. Zénon ? Oui ! Le stoïcisme est un remède. Le bouddhisme aussi. Sourires. Enfin, que dit vraiment la théologie ? John Gelder sollicite la curiosité et nous invite ironiquement à penser, nous, promeneurs candides, saturés d’informations parcellaires et nourris de confuses rumeurs ; à penser, si nous en sommes encore capables, homo urbains-sapiens (Ss) mystifiés. Sa démonstration maïeutique nous amuse puis, dans un deuxième temps, nous provoque. Nous voilà devenus des esprits prévenus. Nous ne rions plus. Une science désenchantée ? Pas sûr ; depuis les grottes, sans doute, la réflexion habite un esprit construit pour l’inquiétude et non pour la désolation. De façon péremptoire John Gelder nous incite, nous oblige à imaginer ce qu’il désigne comme la « surprise » d’une « sextuple » modification aux confins du meilleur et du pire des mondes possibles. Isabelle DORMION |
Disponible Edition Parc, 7 euros, 2001, ISBN 2-912010-13-6