Parité gland-clitoris
photo : Carlos Tigender. les femmes dansent nues et apprennent des chansons licencieuses et de terribles insultes (extrait de Sucer le Miel au creux des pierres) Qu’en était-il alors des « lamentables femelles » ? Leur aire était séparée de celle des mâles. On dénombrait, parmi ces gisantes, quantité de mutilées (bras et ventres scarifiés ou entaillés) et toute une littérature inscrite au stylo-bille ou au feutre à même la peau devenue palimpseste pour doléances et déchirements existentiels. Les filles, plus que les garçons, versifiaient leur « problème » à même le ventre – à proximité de l’endroit où le pénis leur manquait : « Il faut que tu me rappelles les liens amour-mort. » « Je bois pour oublier l’idée que papa me viole. » « Si j’ai voulu sauter du balcon c’était pour vérifier à quel point je suis vide. » « Je veux une deuxième naissance et un autre sexe. » « Toi tu te compliques la vie, moi je veux un môme. » « Je ne sens rien, je n’ai jamais rien senti, je n’ai rien là, connard. » « Vous écrivez avec votre bite l’histoire que nous subissons. » « Si tu ne bandes pas je te tue, si tu bandes idem. » « Je suis frigide parce que tu es un petit con. » « Si je l’aime ? Je veux qu’il m’aime d’abord, après on verra… » Suivra une scarification de plus, une énième tentative de suicide, un flirt sous alcool avec un enfant dans le ventre dont on exhibera la gravide rondeur comme un défi ou un appel au secours. Que faire ? se demandent les initiateurs. Comment opérer le choc ? Dans ces lieux initiatiques nouveaux, loin des officines psychiatriques, on cause en appliquant les mains sur les parties du corps envoûtées et la solution, puisqu’il en faut une, ne relève plus de la logorrhée du confiteor. Elle sera extirpée des fibres enfouies du corps, jusqu’à la litanie, jusqu’à la nausée. On débattait en commission mixte : « Elles souffrent de Penisneid sous le regard concupiscent, critique, dégoûté ou indifférent des mâles. Alors qu’eux, membrés tant bien que mal, souffrent de leur impouvoir narcissique. » « C’est toujours le même schéma freudien : le manque de pénis, un père possessif ou lâche, virtuellement ou réellement inceste, qui transfère sur la princesse ses manques et ses fantasmes, et la princesse qui finit par en être mortifiée, parfois jusqu’à la fascination, parfois même complice du harceleur. » « En quelque sorte, comment les avorter de l’enfant inceste qui loge dans leur tête ? Comment opérer cette interruption de grossesse familiale ? » « Pour les petits, la circoncision volontaire constitue une bonne brèche, la mise à nu les ouvrant sur l’altérité. Mais pour elles ? » « Opérons une refonte à partir du mythe et de la biologie. Réapproprions-nous l’image d’Hermaphrodite, fils d’Aphrodite et d’Hermès. » On s’accorda sur la parité mâle-femelle de l’embryogénèse des cinq membres : pattes avant, pattes arrière, organe sexuel. Nous l’appellerons l’option « gland égale clitoris ». J’ai pu vérifier avec Princesse et quelques autres. Cette jalousie ou ce dégoût du pénis, et toutes ces frigidités désastreuses sont parfaitement surmontables si la parole de l’aimant arrive à se faire confiante et que sa main, doucement mais fermement, retire et exile, pour la remplacer, la main du père ; la victime brouille progressivement l’image paternelle du bourreau et la remplace par celle de l’ami qui lui propose d’être physiquement son semblable. Et dès qu’une princesse prend conscience qu’elle peut bander à parité avec le gland (ou que celui-ci n’est qu’une version surdéterminée du clitoris), et qu’elle dispose dès lors d’un organe apte à prendre le relais du mien, qu’elle a de quoi recevoir ce que je donne (sa part de ma masculinité), et que ça équivaut à donner, en retour, ce que je reçois (ma part de sa féminité), et que, peu à peu un orgasme vient couronner tout cela, alors la chose est acquise, on échappe au neutre tout en étant délivré du tout-mâle ou du tout-femelle. « Donc, on ne retouche pas les demoiselles. On ne détruit pas le rouleau derrière les portes du tabernacle… » « Une fois les organes mis à parité, libre à chacun de choisir sa nouvelle façon d’être et de s’exprimer selon sa machine désirante propre. » « Ce n’est évidemment pas l’hystérie qu’il faut soigner mais le mauvais usage qu’on en fait. » « Peut-on considérer que le rite de passage du jeune mâle suffise à soi seul pour entraîner la femelle dans une nouvelle symbiose ? » « Il est normal que le phallus-fils paie pour l’historique abus de pouvoir du phallus-père qui a frappé l’espèce dans son être collectif autant qu’individuel. Féminiser le gland, le mettre à parité avec le clitoris réconciliera ce dernier avec lui-même et lui-même avec l’Autre. » « Pour en revenir à ce qu’on disait tout à l’heure, rien de très nouveau sous le ciel, car les rites d’autrefois ne concernaient largement que les petits mâles. » « Sans doute l’ethnologie nous informe sur d’intéressantes pratiques priapiques, mais par et pour les mâles. » « En effet, rien ne nous permet d’affirmer que la réconciliation est acquise. Je note des succès, mais presque malgré moi. Ma féminité accepte le principe de la parité, mais est-ce justement à vous, mâles, d’opérer cette parité ? Au plan biologique – je pense au clonage – le matriarcat est plus faisable que le patriarcat ; les femmes peuvent se reproduire entre elles. » « Comment savoir ce qui est à l’œuvre dans le grand mouvement anthropotechnologique ; cela se jouera à l’intérieur des cellules totipotentes, imprévisibles par nature. On peut très bien supposer que la biparité sexuelle s’achève au profit d’une troisième voie ou d’un troisième sexe qui est comme qui dirait dans l’air…» « Affirmons donc qu’il ne faut pas toucher aux organes femelles, anticipons en revanche le mouvement en revisitant le symbole mâle. Le choc des hormones ça concerne les garçons. Rabotez leur superflu, améliorez leur féminité (ou leur sensibilité, appelez ça comme vous voulez), cela donnera de l’âme aux ventres femelles. Après quoi, ce sera largement leur affaire de retrouver une nouvelle entéléchie. Le travail de fond concerne les mâles. La reconstruction aux anciens destructeurs. » (Extrait de Sucer le miel au creux des pierres, John Gelder (Desnel 2007) Retour |