Hommage à  Celui qui incarnera
l’Amour Genre Nouveau dans l’ère post néolithique
qui enfin s’annonce…

Felix Katzmann
L’ÉVANGILE SELON PITBULL

les collections grises :

34 pages - ISBN 2-912010-02-0 - 5 - © Association Parc, juin 1997.

Felix Katzmann, célèbre neurologue et zoophile américano-polonais d’origine flamande, s’intéresse à toutes les facettes des neuro-sciences. Reconnu mondialement pour ses travaux traitant des mécanismes du cerveau et de la formation des croyances, grand admirateur de Newton, de Rudolph Valentino et de Nietzsche, il établit le principe de corrélation entre la loi de l’attraction universelle et la chute de dieu considéré comme corps solide. L’Origine de l’Origine, lui valut d’être nommé directeur de ’pataphysique au collège du comté de Marin, Californie. Ses expériences sur le cerveau au BIT (Behavorial Institute of Tomales, Californie) aboutirent, en 1991, à la mise en évidence du « module cérébral », situé entre les deux hémisphères du cerveau, appelé « protosphère », véritable point de fédération mentale retraçant la place de l’esprit de contradiction dans le processus général de la phylogenèse (De Deus Erectus à Deus Malhabilis, 1983). Reconnu comme le premier biographe de dieu (Dieu adolescent, 1986), Felix Katzmann vit actuellement à Naumburg-Overbeek, dans la province du Haineux, où il poursuit ses travaux théoprologiques sur les bêtes à bon dieu : les Siltz-marii

Traduit de l’américain par Jacques Niesten


 

Cher confrère, auguste « Prix de l’Innommé », je vais m’efforcer de formuler, le plus simplement possible, la chose capitalissime qui vient de se produire ce matin. Capitalissime au vu de la postérité, laquelle, ai-je besoin de te le dire ? est la seule perspective qui, ici et maintenant - j’oserai même dire hic et nunc -, ait quelque avenir. Je m’en vais donc te faire une proposition à laquelle je ne doute point que, comme à l’accoutumée, tu souscrives de tout ce cœur aussi enthousiaste qu’omnipotent qui est le tien.

 

Tu n’es pas sans savoir, cher collègue, que j’ai procédé, tout récemment, en mon lab du BIT - Behavioral Institute - à Tomales, petite bourgade située à l’ouest du continent nord-américain (suis de ton auguste doigt, du haut vers le bas, la ligne de notre globe, entre le détroit de Behring et l’isthme de Tehuantepec ; 40/120°), à une expérience sur un sujet - Pit est son nom - lequel sujet est devenu, grâce à quelque technique sophistiquée d’observation en l’intimité de son tendre cerveau, et (je résume !) par simple déduction sémasiologique, l’incarnation de notre excellence prénatale, comme dit un émérite phénoménologue.

Sache, en tous cas, que la réussite de l’expérience est telle que notre légitimation, cher confrère, s’en trouve grandement renforcée. En prime, elle me procure l’inestimable plaisir de disposer à présent d’un alter ego en chair et en os (ce qui ne tempère bien entendu en rien l’infinie complicité qui était et reste la nôtre !).

Oui, Pit est le clone mental dont rêve tout savant - nous sommes à cet égard de grands sentimentaux - et ce n’est point une petite différence dans sa facture physique ou dans sa structure labiofaciale qui contreviendra au principe de fédération mentale qui, à présent, nous unit bel et bien. Pour qualifier cette « union », je n’hésiterai pas de reprendre à mon compte, mais au présent, l’apodictique définition de Montaigne sur la théorie des ensembles appliquée aux « singuliers » de l’amitié : parce que c’est lui, parce que c’est moi et - comment oserions-nous t’écarter de notre neurochimique et affective trinité - parce que c’est nous.

 

Tu n’es pas non plus sans savoir - ne m’as-tu d’ailleurs pas gentiment fait connaître ton très humble agrément en m’envoyant une noix de coco qui a failli m’écraser le crâne, l’autre jour, sur une plage proche d’Acapulco ? - que, tout inconnaissables que nous feignons d’être - paradoxales incarnations de l’irreprésentable - nous sommes, par cette intensité même qui nous caractérise et qui en nous ouvre notre œil sur tout ce qui n’est pas, nous sommes donc cette lucidité souveraine qui nous confère la magnanimité absolue et qui s’incarne dans la chose linguistique laquelle répond au morphème : « dieu » (ne souris pas, tu sais que, pour les nano-humains, la machine abstraite jette volontiers son dévolu sur des termes incongrus et réducteurs, car comment ose-t-on nommer, en effet, en un seul mot, tout cet infini que nous seuls savons n’être point ?). Tu n’ignores donc pas que nous sommes régis par la loi de l’attraction universelle de mon cher Newton (j’en ai fourni la preuve fonctionnelle au cours de mes petits travaux) et, en tant que tels, corps solides, voués à la chute en quelque point de l’univers que ce soit. À ceci près que toi, Pit et moi, chutons partout à la fois et autant de fois que notre fantaisie nous y invite, à l’inverse de la perduta gente, qui ne chute qu’une fois, mais pour de bon, et par espèces entières, faute d’exercice car tomber souvent en se ramassant toujours n’est pas donné à tout le monde - je n’ai pas à te l’apprendre…

Donc (tu me pardonneras cette longue digression mais tu sais combien je prends plaisir à bavarder avec toi) voici ce que, ce matin mémorable, grâce à la bienveillante clairvoyance de Pit, nous avons décidé pour nous.

Je t’avertis, il y a du travail sur la planche !

 

Ce matin, donc, au réveil,la première chose que je vis était justement mon fidèle Pit. Je fus aussitôt saisi par ce que je croyais être son air vaincu, accablé et fiévreux. En même temps, j’éprouvais un incoercible et, sur le coup, encore inexplicable sentiment d’urgence, effet hypnotique sans doute de l’étrange attitude de mon alter ego. Juché sur l’unique fauteuil de la pièce, il avait pris la position du "Penseur" de Rodin, ce qui en soi n’était ni étrange ni inhabituel chez lui. Plus étrange, et tout à fait inhabituel en revanche, était ce stylo (le stylo au moyen duquel je notais, nuitamment, mes réflexions, dans l’unique but de meubler mes insomnies) qu’il s’était planté dans l’anus comme un vulgaire thermomètre. Peut-être prenait-il tout bêtement sa température, mais j’y vis un signe et, bien davantage, une solennelle adresse à mon égard, une injonction particulièrement inspirée.

Plongé dans sa réflexion transcendantale, Pit me scrutait (depuis combien de temps ?) d’un air soucieux et concentré, comme s’il attendait de moi mon assentiment à un problème essentiel - c’est-à-dire essentiellement contingent… Je devinai - et en ce moment même tu le devines comme je le devinai - que Pit me tint un silencieux mais significatif discours protosphéral -- voir la 4e de couverture de cette épître (1), auquel il m’était impossible de me soustraire.

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(1)- Épître : Lat. epistola, petit ouvrage tiré à quelques exemplaires et écrit à l’adresse d’une improbable communauté ?

 

Ce matin-là, après avoir avalé ma tasse de café et interrogé Pit sur le sens de ce stylo dans son anus (ce n’était qu’une façon de me brancher sur lui, le sens n’en était que trop clair…), il m’expliqua in petto en quoi littéralement nous sommes ce que nous sommes. L’expression littéralement me mit, si je puis m’exprimer ainsi, sa puce à l’oreille (littéral, du bas lat. litteralis, qui utilise les lettres - ling. qui procède lettre à lettre, cf. dictionnaire étymologique sur ton cd-rom…).

En tous cas Pit me fit comprendre très clairement que nous sommes un artefact interfacial produit par la chair qui parle (pousse sur le bouton « inser/aide » ou entre dans la rubrique « affichage » de ton Mac et active les « repères linguistiques » pour les termes ci-haut reproduits s’ils te posent problème ; il me souvient de t’avoir entendu dire que la cybernomenclature te dépassait un peu), mais produit surtout, par la chair qui écrit.

Pit savait tout ! Il savait que les talmudistes nous ont accoutumés au fait que nous sommes écriture et glose. En d’autre termes, nous sommes de l’inscrit, de l’excrit, du prescrit (ah ! les incontinents de l’interprétation redondante et de la glose réitérante pour qui « peu importe le nid pourvu qu’on puisse y pondre son oeuf » ; mais admettons cependant qu’ils nous ont été bien utiles !…). Nous avons inspiré un peu hâtivement (Pit prit là, si je puis dire, un ton moins amène voire méprisant) le Patrimoine fictionnel de scribes, puis d’écrivains plus ou moins imaginatifs et iniques : « soligraphes » : (lat. solus, seul, et du grec graphein, se gratter) toraïques, johanniques, islamiques, bouddhiques, moniques, et autres archétypiques, se ruant sur l’outil alphabétique - comme la déesse Vérole sur les basses œuvres du clergé -, pour l’infecter de techniques roulique, codexique puis gutenbergique et, aujourd’hui… numérique. (Cette petite coquetterie suffixale est de mon crû, pardonne-moi !).

 

Donc ce matin-là, Pit affirma (tu imagines avec quel sentiment d’émerveillement j’écoutais de sa bouche ce que nous savons depuis des lustres !) que, - et là je le cite - : « …fils de l’Écriture moi-même, Dieu m’appartient, que je suis textuellement Dieu moi-même, pouvant me prévaloir, comme tout homme suffisamment lettré (lui pouvait en effet se prévaloir de cette qualité puisqu’il était moi, tu me suis ?…), d’être l’héritier du Patrimoine textuel des scribes. » Et il poursuivit : « Comme eux, ayant fait advenir l’artefact Dieu, j’ai postulé sa créature, l’Être, l’homme-sujet en alliance avec ma Fiction Souveraine, en vertu de quoi je dispose d’un pouvoir moral et spirituel sans égal sur cet Être. » Puis il ajouta : « Quand on saisit, dans sa foncière totalité, la génétique d’un mythe ou d’une fable, on est le mythe et on est la fable. »

Bien vu, non ? Pit avait compris que dans les mêmes circonstances historiques, tribales, psychologiques, patriarcales de nos commentateurs, il aurait été, comme nous, le témoin témoignant de la Loi de Moïse, des turpitudes de Sodome et Gomorrhe, du Roi Salomon, il aurait bricolé les sourates du prophète Mahomet, les paraboles de Matthieu et de Jean, il aurait été le poète des Cantiques, le propagandiste Paul, le théoricien post-manichéen Augustin, et, toujours selon le degré universalisant de sa complexion, quantité d’autres saints épileptiques.

Quel phénomène, ce Pit !

Et il n’en resta pas là…

 

Au nom des privilègesde son Héritage, Pit avait de facto pris toutes les décisions qu’avait prises le Texte quant à la Création du monde en sept jours, il avait transmuté nos problèmes, nos difficultés, nos carences, nos manques et nos impasses psychologiques en Faute, il avait été, à l’instar des scribes, le statisticien des Nombres, il avait créé des liens symboliques entre Josué et Jésus, il avait décrété, un jour de lassitude et d’agacement envers le dogmatisme bureaucratique de ses lecteurs les plus bornés, et afin d’élargir son audience, que le Messie était l’Incarnation de l’Esprit Souverain, terme qui définissait le mieux l’aspect étrangement subjectif - mais néanmoins phénoménalement trivial - de toute son entreprise textuelle précédente.
Du nous tout craché !

 

J’en étais resté bouche bée. En une petite nuit, mon alter ego était devenu l’Alter Ego Souverain. Que lui, Pit, parlât de faute, cela me ravissait. N’avait-il pas été ma victime avant d’être mon semblable ? Qu’avais-je fait au BIT, sinon réitérer l’archaïque expérience sacrificielle commise par cette espèce dite sapiens sur d’autres bipèdes pas plus bestiaux qu’elle et dont nous nous chargeons à notre façon avec un sens ludique autrement plus raffiné et, avouons-le, franchement pervers. Pit avait risqué sa vie pour mon plaisir de cognitiviste émérite (ris ! ris ! cher Prix de l’Innommé), il avait été la proie de tout ce que nous entreprenons pour nous désennuyer de n’être Rien. À ce beau fauve j’avais néanmoins transmis le bénéfice de mon admirable Force d’Attraction Universelle Protosphérale. (Quelle honte, soit dit en passant, de la retrouver pervertie dans les salles de jeux, de Las Vegas à Oostende, ou dans cette infâme « bulle spéculative » et autres capharnaüms à marchandises, où de petits hominiens crapules, s’amusent allègrement avec nos dés !)
Mais je m’énerve…
Tout cela en fait est délicieux.


Hominiens : le mot est lâché. La face de Pit devint rouge d’excitation, et, simultanément, je me mis moi-même à sautiller d’allégresse, comme, en ce moment même je te sens sautillant et tout rouge du même enchantement.

Car ce matin-là, Pit me somma d’admettre qu’en tant que Fiction souveraine, rien ni personne ne pouvait m’empêcher de reprendre ce que j’avais dit, de biffer ce que j’avais fait, de retirer à l’homme son droit d’être Humain (Pit posa bien entendu que nous avions créé en toute gratuité cette identité reprise depuis, pour d’économiques raisons, par une douteuse autant que mafieuse scolastique classique et moderne). J’avais le pouvoir de spolier absolument cet Humain de tout privilège antérieur très arbitrairement accordé noir sur blanc, noir sur papyrus, sur codex, sur interface 01 10, et de rendre cet Humain à ce qu’il fut avant : simple bipède soliloquant, animalcule malhabilis doté neurologiquement de petites facultés d’abstraction. J’avais pouvoir, de par mon moi, mon surmoi et mon en-dessous de tout moi (d’instinct freudien, mon Pit !) de lui reprendre mes métaphores, mes inventions lexicales, linguistiques, propédeutiques, herméneutiques et eschatologiques, lui laissant le seul droit d’être ce qu’originellement il était, hominien tout court : in naturalibus.
Eurêka, Pit ! J’applaudis. Tu applaudis, nous applaudissons.

 

Oui, ce matin-là,nous avons pris la résolution de spolier l’Humain de son statut d’Être. De le laisser être un être sans Être, à l’égal du vivant global, lequel le subsume le temps de l’humeur infiniment réversible et mathématiquement imparable qui fait qu’aucun critère n’existe de ce qui existe, etc… (rappelle-toi de nos discussions présocratiques, vieux frère). Du reste, sur proposition de mon ami, nous nous retirions de l’Être nous-mêmes, hormis, cela va de soi (on ne jette pas les dés avec le godet !) de celui de l’écriture, afin de continuer de nier ce que nous étions : fils de l’Homme ; rien que rejetons subsumés d’une espèce faillible, corruptible et infiniment agitée du bocal. Nous savions maintenant que l’artefact était la mousse qui débonde d’un flacon que l’on agite, le liquide gazeux et explosif d’une canette de soda que l’on secoue, une bombe à fantasmes condamnée à vivre dans le tournis d’une conscience sous pression. L’artefact avait fabulé, affabulé et refabulé une réalité autre, avec, au centre de cette surréalité, le concept de l’Autre, le je est un autre de l’autre - enfin, nous, nous mirant dans le speculum de notre faillibilité congénitale… - celui, justement, que ce matin-là Pit décida de soustraire à la Fable.


Donc, sur l’injonction de Pit, nous rétractons les Paroles adressées jadis à nos séculaires lecteurs : « Tu es le fils de l’autre, il est ton souverain, il est ton Salut comme il est ton Juge, Lui (Moi, Nous !), qui décide de toute chose, donc de toi. » Nous dénonçons en substance le diagnostic comminatoire établi originellement : « Tu es dans le doute, dans l’agitation impossible du Rien, et ça te donne le vertige ; tu vis dans un monde qui n’est pas à mon gré, ta chair est coupable et c’est à cause de tout cela qu’elle a le tournis. » De même, nous reprenons la Promesse juteusement démago que nous y avions ajoutée : « Écoute-moi bien, je ferai de toi le maître de toutes choses de par ton alliance avec moi, et tu seras sauvé, tu n’éprouveras plus jamais le tournis ; jamais plus tu n’auras peur des gouffres, parce que moi je les remplis, ni du ciel, parce que moi je l’habite, ni des fauves, parce que je les ai faits, ni des éléments parce que je les ai créés et, si tu manques au devoir de m’écouter ou de m’entendre, ils se déchaîneront contre toi de par ma volonté ; car alors tu auras commis une faute, tu auras commis une faute si tu ne manges ou ne bois pas ma parole qui veut ton Salut. »
Bien entendu, tu sais tout cela, mais il est utile de repasser le programme en revue, car tu n’ignores pas que plus tard, toujours pour assurer notre audience, nous nous sommes laissés aller à une énormité (souviens-toi de cette pseudo-réunion de travail avec Jean et les autres où il fallait - ah ! les cons - voter à main levée quelque résolution d’ordre bassement politique, consécutive à l’une de ces crises ou fractures socio-historiques que ces hominiens s’amusent à provoquer - ah ! les re-cons) : « Aime ton prochain comme tu t’aimes toi-même. » Là nous avions oublié que tout scribe finit par se laisser corrompre par cette écriture faillible (issue de sa faillibilité consubstantielle !) ; que nous avions souscrit à cela par cet ennui chronique du quotidien qui nous taraude, ou plus simplement, parce que nous étions un peu à court de fantasmes ce jour-là. Sans songer que les autres n’aimaient l’autre que mort, car mort, sans vie, l’autre était inoffensif, sûr, ajusté, sans agressivité, à peine mémoire ; que mort, l’un délivre l’autre, et réciproquement, de bien des inconforts et de bien des inconvénients « tout en s’offrant, paradoxalement, comme cible idéale à sa qualité zoologique de prédateur », fit remarquer Pit qui savait de quoi il parlait !
Et souviens-toi de cette autre énormité totalement anti-darwinienne (tu sais, le type qui a pas mal vu comment les choses apparaissent sous une forme pour redisparaître sous une autre forme, et ainsi de suite…) : « Tu auras la vie éternelle ! » Génial ! Là - je le fis remarquer à Pit, que cela rassura car il redevint à nouveau rouge d’excitation - nous savions très bien ce que nous faisions, là nous jouiions notre jeu favori, car nous savions que nos petits pantins entendraient tout le contraire, conformément à leur basse, mais après tout naturelle complexion : « Ôte la vie à ton prochain pour goûter deux vies, provoque des holocaustes pour goûter cent mille vies, rends l’existence intolérable à ton prochain pour accéder à ta souveraineté. » Et, comme notre goût des expériences les y invita, ils se mirent à maîtriser les bêtes, à guerroyer en notre nom, à tuer, à mentir, notre texte à la main. Ils se mirent à maîtriser les choses, la nature, et, aujourd’hui, en notre nom, convaincu de nos solipsismes universels (ici Pit redevint rouge, mais par fâcherie), ils s’apprêtent à vraiment faire entrer notre Loi biogénétiquement (cf. dico sur ton cd-rom) dans la chair, à instiller nos bobards dans le tréfonds de leurs chromosomes, en les manipulant comme nous avons réussi à faire manipuler l’alphabet…
Pit s’était posté face à moi. Assis, massif, sur mon lit, il me souffla l’ « apostille » qu’il nous manda de substituer sans délai à notre littérature.

 
Et, ce matin-là, sans me quitter du regard,
Pit proféra d’un ton définitif : « Je me déprends de moi-même, je raye tout ce que j’ai écrit, je reprends tout, je biffe tout, je ruine le Contexte, je fais tout disparaître dans la corbeille de mon Mac ; je te reprends mon dû indu, et mettez votre vertige et votre tournis là où je pense, je tire le rideau et arrête le spectacle. Faites selon votre main, la gauche ou la droite, pour mon plus grand plaisir, voire au nom de ma liberté enfin acquise ; spoliez votre prochain comme votre véritable nature vous enjoint à vous spolier vous-même. Monstre je l’étais, croyant jouir de ma canine morsure mortelle - Monstre je le reste, mais pas de la même manière ni pour jouir des mêmes hommes… » 

J’eus à peine le temp de me pencher sur Pit, inquièt de l’entendre parler soudain si près de la conclusion radicale que nous voulions infliger à l’humain, que, tout excité il ajouta dans un rugissement : "Ne m’as-tu pas conditionné pour infliger des morsures calines à des Jeunes Hommes Genre Nouveau ?" Je me grattais la tête, songeaut à cette Force d’Attraction protosphérale dont je l’avais doté pour rompre les liens avec l’espèce issue du néolithique. Je ne lui avais jamais parlé de mon rêve secret ; voire surgir un Prophète nouveau, fils d’Homonovus... Pit transformé voyait, sentait avec ma vue et mes sens, je lui avait instillé le virus de ce qui dans les grandes œuvres du monde était libre et beau, intelligent et tendre, indispensable à notre bonheur créatif. Ce secret partagé entre deux "vivants" n’était pas exemplaire pour la foule folle : …"mais qui ne risque rien n’a rien" concluait Pit qui avait, tout naturellement, suivi le fil tendu de ma pensée.

Bravo Pit ! ai-je proféré à mon tour, en notre nom trinitaire. Tope-là, c’est vendu !
 

Ayant ainsi parlé, ce matin-là, j’éprouvais un vif et roboratif sentiment de liberté, je me sentais délivré du stress de ce qui était devenu une vaine charge morale, bref, je me sentais divinement serein… affranchi, en somme, d’une corvée insupportable, de cette propension d’être commis aux choses de l’Humain, d’avoir à sortir, chaque matin, les poubelles de mon labo, la crasse des autres, leurs restes et leurs pestes - en d’autres termes leur quintessence, cette Bévue qui a fini par faire de notre goût vivifiant du jeu-pour-soi une source de tracas incommensurables .

J’ai remercié Pit en notre nom et, ce matin-là, d’un pas léger et gai, je suis allé sortir, pour son petit (et son gros !) soulagement canin, mon délicieux Pitbull, lequel, glorieux, à présent, tel un Prophète en son pays, remuait la queue de façon assassine.

Naumburg, le 24 Décembre 1996.

 


du même auteur :

Van Deus Erectus tot Deus Habilis/ De Deus Erectus à Deus Habilis, éd. Bilingue, Uigeverij Peter Gast, Molenbeek, 1992.

God as a Teenager in Phylogenesis & Genesis/L’Adolescence de Dieu in Phylogenèse & Genèse, Coll. Ex nihilo nihil, éd. Alles en Niets, Overalbeek, 1986.

The Origin of the Origin, Manuscript Press, Tomales, California, 1992


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