EX NIHILO SOMNIUM

par Mark Tapley


 

Un horizon vaste et vide

rien qu’un horizon, sans rien autour

en émerge la première éphéméride

bientôt suivie d’autres

et d’autres encore

jusqu’à former une tour

suspendue dans le rien

 

Éclot alors chaque fleur

et s’ouvrant révèle un œil

et doucement meurt

jusqu’à ce que le rien

ne contienne que des yeux

et quelques feuilles

qui n’ont pas tout à fait fini de naître

 

Et au milieu des yeux

encore toute mordorée de bourgeons

vêtue de nuages et de pâles feux`

tiède et palpitante

comme un cœur de papillon

flotte une âme d’ambre blond

qui regarde

 

Mais il n’y a rien à regarder

et bientôt l’âme s’ennuie

alors les yeux commencent à se fermer

l’âme palpite plus doucement

l’âme s’endort

tombe la première nuit

et c’est le premier rêve

 

Nébuleux et doux

il passe sur l’horizon

et le rien tout d’un coup

respire et son souffle

résonnant à peine

hante le rien du premier son

et le rien devient un tout

 

Qui s’anime de parfums

et de tout un tas d’êtres vivants

et de choses et de machins

avec des ailes et des cornes

avec des plumes et des dents

de tout un rêve enfin

qui s’étale sur l’horizon

 

Il pousse alors à l’âme des oreilles

et une bouche et un nez

pour mieux entendre les merveilles

pour les sentir et les goûter

et des tentacules

pour pouvoir les toucher

qui deviennent des doigts

 

Et les doigts se multiplient

et s’agrègent en grappes

qui se tordent qui se plient

qui s’accrochent et qui s’agrippent

qui palpent et qui caressent

et qui piègent et qui attrapent

les rêves qui passent à leur portée

 

Une infinité de mains

se tendant aussi loin qu’il est possible de rêver

cueillent les rêves sans fin

pour les tenir devant les yeux

et les porter aux oreilles

et les mettre dans la bouche et les avaler

et l’âme s’en nourrit

 

En avalant chaque rêve

l’âme grossit insensiblement

elle les cueille sans trêve

et bientôt elle est immense

s’ouvrent alors les bourgeons

et chaque pétale blanc

est un monde encore humide de rosée

 

Sur chaque monde s’ébroue

une vie au poil encor mouillé

à la robe maculée de boue

mais à l’œil vif et clair

à la voix forte déjà

impatiente de se souiller

de civilisation

 

Et chaque goutte de rosée

devient une mer ou un océan

et chaque irrégularité

devient une montagne

ou bien un continent

ou bien une île ou un volcan

et ils se tapissent de verdure

 

On y trouve des dragons

dans les calmes forêts

des sirènes dans les lagons

dans les clairières des champignons

dans les montagnes des pavots

des herbes druidiques dans les marais

et sur un pétale on trouve des êtres humains

 

Ceux-ci construisent des villes

ils élèvent des troupeaux et cultivent les champs

ils peuplent les déserts et colonisent les îles

créent des œuvres d’art et des bibliothèques

tombent amoureux et malades

font la guerre et des enfants

et chacun d’eux contient une petite âme d’ambre blond

 

Et chacune rêve et se nourrit

de l’oniroplasme ambient

et soupire et pleure et sourit

et s’invente un univers

un tout miniature

et ça et là un enfant

rêve de devenir cosmonaute.

 

¢ Mark Tapley

 

`Du Néant le Rêve