BARRABAS
parmi nous, les immanents…

Guillaume Boppe

« … Je vois des pierres noires de cimetière
qui me font les yeux doux,
et qui ont des dents de geisha.
J’ai mon sexe rose et froid qui pleure sous les draps.

Qu’est-ce que c’est que ce monde où on peut perdre le bonheur en cinq secondes ?
Un mot lâche sous la porte, et c’est fini.

Les ténèbres vous recouvrent comme une armée biblique.
Et vous ne savez par où commencer, ni quoi.
 »

G. Boppe, Parler de soi crée des miroirs (1).


" Car on ne supporte plus la vulgarité : on devient un ange ou une chose morte."


Moi, je suis celui qui sait comment ça marche.
Depuis cent mille ans que je marche.
Cent mille ans au moins.
Je suis venu avant d’être. D’être là, moi.

Savez-vous que les diables viennent d’autres mondes qui sont dedans ? Moi je suis venu il y a cent mille ans d’un grand dedans. D’un de ces grands dedans que peut-être vous sentez - que vous sentez sûrement - remonter de vos grands dedans d’antan.

Les parkings verticaux où se rangent vos vies, où s’encastrent les grands véhicules de vos vies, moi aussi, moi surtout je les connais, je les vis, je les porte en moi. Une vie garée à côté d’une vie garée à côté d’une vie, et ainsi de suite. Et vous montez dedans, dans chaque vie, dans l’une après l’autre. Et ensuite vous les abandonnez, les unes après les autres, sur les parkings déserts, devant les grands supermarchés vides de la non-vie terrestre.

Moi, je suis venu il y a cent mille ans, j’ai donc vécu quelques milliers de millions de vies, car j’ai été papillon, corbeau, pigeon, girafe, cheval, fourmi, amibe, lion, poisson-volant, cafard, baleine, murène, souris, rate de rat, septembre noir, aube de peine capitale, astre en feu.

Astre en feu tombé sur Terre il y a cent mille ans, pour vivre sa vie de cent mille millions de vies.

Nous, vous et moi, nous ne vivons pas la même vie. Vous avez vécu cent mille ans, vous ? Ah ! non ! Et moi si ! J’ai vécu toutes ces vies, et je me sens seul, et je suis à bout de ma vie, de ma vie de cent mille millions de vies, alors je m’en vais mettre à mort ma vie de cent mille millions de vies. Et renaître.

*

" Car on ne supporte plus la vulgarité : on devient un ange ou une chose morte."

La fosse aux lions, j’en n’ai pas réchappé.

Saleté d’arène que vous connaissez tous : sous les yeux de ceux qui ne sont pas en vie, vous qui êtes en vie, laissez votre élixir de vie se vomir sur le sable, et les scorpions viennent le boire.

Les scorpions sont des bêtes sympathiques, avec des petits yeux comme des boules de billard qui vous font des clignement d’amitié. Avec leurs queues qui dansent devant vous, plus charmantes que les bras de Salomé, ils sont beaux, ils luisent sous le soleil de Judée ; vous les aimez et vous riez, parce que votre amour est là, à vos pieds, qui se remplit de votre sang et qu’ainsi vous lui donnez la vie.

Ce que vous ne pouvez plus supporter, c’est tout autour les yeux de ceux qui ne sont pas en vie. Ils forment des cataractes de lait amer de bêtise qui jaillissent sur vous. Douche de démons venus des enfers, de sous la terre, de dans la mer, qui crachent leur dedans du ventre et ça vous brûle, toute votre peau brûle. Alors la marée de lait amer remonte jusqu’à vos lèvres et, doucereuse, vous enturbanne la gorge et, bien maternelle, vous dépose dans le lit du Léthé et, enfin, bien enivrante, vous fait jeter cul par-dessus tête et mordre la poussière et avaler deux-trois scorpions.

Vous êtes Barrabas.

Vous êtes bénis entre tous les hommes.

Vous êtes celui qui appuie sur le bouton de remise en marche de l’Odyssée. Sans vous Dieu seul sait ce qui se serait passé à la place de Marco Polo et de Treblinka.

Vous êtes Barrabas.

Vous ne portez pas votre croix comme c’était prévu, vous sentez juste un scorpion qui met sa queue dans la vôtre, à l’intérieur de vous, qui se caparaçonne de votre être.

Vous êtes Barrabas et vous frétillez d’aise devant l’éternité.


*

Sauf si les mots sont autre chose que du fumier.

Mais… gare au coupe-coupe.

Bon alors, faut faire attention au coupe-coupe. Gare au coupe-coupe. Bon, bon, de quel coupe-coupe il s’agit ? Ben, du coupe-coupe de la vie. Le coupe-coupe de la vie, ça prend là où il faut pas. Là-haut, là, tout en bas, ça se prend comme ça. Un comprimé, une fleur de soja, de lotus, UNE FLEUR D’ET CAETERA. From Terra. C’est là, le coupe-coupe de la vie. Ben oui, quoi. Ben oui, quoi, dis. Ben oui, dis-le moi. Dis-le moi que tu m’aimes, dis-le moi mon coupe-coupe, que tu me la coupes, ma fleur de vie. Ma vie en fleur. Fais-moi une fleur. Une bien rouge, de fleur. Comme sur un champ de bateleurs remplis. Aux enchéres la vie. Mais vaut pas chére. Peut-être. Sauf si les mots sont autre chose que du fumier. Donc c’est ça, le coupe-coupe de la vie. Tu connais pas ? Ah ! Ben moi, si ! Depuis six mois ? Non, non ! Depuis un bon bout de temps ? NAN, NAN, MAMAN ! Ca remonte bien à maman, malheureusement. Depuis le début de la vie alitée. Qui se léve comme une fleur. Qui se dresse en direction de la fine fleur. Tendre et sans odeur. Juste celle de la pietà. Piétaille. Au pied de la croix. Avec le coupe-coupe au-dessus. Gare à la vie alitée. Y a de trop de vie là-dedans. Trop d’excédents dressés. Ca se coupe. Alors gare au coupe-coupe. Il se pose là, tout près de toi, de moi. Il est comme ça, et pas autrement. Il est là. IL EST GRAND. C’EST UN COUPE-COUPE PAS POUR ENFANTS. S’est nourri des excédents. De la chair les excédents. De l’âme les excédents. S’est nourri de moi enfant. Mais de toi, là aussi, enfant. T’as rien compris, quand il s’est nourri. Est-ce que t’as bien saisi ? Est-ce que t’as bien été saisi ? Oui, t’as compris ? Compris que c’est dur dur d’être mangé. Dur dur d’être assassiné.

Le coupe-coupe t’anesthésie. Formellement il te réduit. Je te dis "tu", je me le permets, veux-tu ? Car si je sais que tu n’es qu’une apparence, je sais aussi que tu es apparemment mienne. L’apparemment est important, l’apparemment est outrecuidant. Mais surtout tu es apparemment solitaire. Toi, moi, nous, tous, là. solitaires. Les vibrations, là, les vibrations du coupe-coupe, pourtant, apparemment, ce ne sont pas les vibrations d’un seul et même. D’un seul et même cou. Mais au bout du compte, au bout des points comptés, des exemplaires années écoulées, les vibrations sont de la même aune. Logées à la même enseigne. Les tiennes, les miennes, elles résonnent dans le coupe-coupe QUI TE PREND A LA GORGE. Imagine une grande tenaille rouillée et toute polie à la fois qui te vibre ente les gorges et l’oreille CENTRALE. Voilà, c’est le coupe-coupe. Voilà, c’est quelque chose comme un animalcule. Enfin, c’est ça, quoi, tu sais bien, quoi. Ca s’explique pas, ça se ventriloque. Ça s’interloque. C’est un stratagème de Dieu pour créer un nouvel objet, un autre objet qui te bondit au visage, un autre objet dans le sens que c’est un objet organique et purement matériel à la fois. C’est le coupe-coupe, quoi. Alexandre-Le-Grand devait bien le connaître, du fond de ses crises d’épilepsie, il devait bien le voir avancer vers lui. Ouais, bien, qu’il le voyait… Et tous les autres grands, et tous les autres géants, aussi, ils devaient le voir avancer, ce truc-là. C’était gare au coupe-coupe pour les grands enfants, que leur criaient leurs mamans. Ou un truc dans le genre, enfin un truc dans le vent, qui leur remettait pleins de choses du dehors dedans. Et inversement. Bon il est temps d’en finir avec le coupe-coupe. Tu saurais, toi, t’en tirer sans faire déborder la coupe ? C’est si aigu, la ciguë Ca dépasse les bornes et puis ça coupe. Les doigts, les mains, enfin toutes ces choses-là. Donc on fait comme si on l’avait pas vu, le coupe-coupe. On s’en coupe un bout et on continue. ’S pas ? Sauf si les mots sont autre chose que du fumier.

*

Les chiens dans les Lieux

Ils sont des chiens, ils sont comme des chiens, ce sont des chiens. En un mot trois fois rien. Des chiens. Mais leurs crocs sont fins. Durs, longs, des choses qui brillent. Des choses qui scintillent. La nuit est leur amie, à ces chiens-ci. Seulement, tu sens, tu sens leur haleine trop lisse entre les crocs. Cette haleine-là n’est pas canine. C’est une haleine presque humaine. C’est peut-être pour ça qu’ils ont des gueules d’humains. Enfin c’est une haleine qui fleure bon la retenue, la bonne mauvaise santé des hommes. La santé des lâches qui en meute peuvent aller se restaurer sans craindre de représailles, sans craindre autre chose que la digestion difficile. Des humains mais des chiens. Des chiens mais des humains. Ca a un air de déjà-vu, tout ça, pour toi. Comme quand tu étais dans l’autre vie. Tu en connaissais pas mal, des chiens-humains. Des humains-chiens. Mais là, c’est diffèrent. Là, il y a les Lieux.

Les Lieux d’aisance. Au bord de la rue. De la grande rue. De la grand-rue qui mène tu ne sais où. Enfin si, bien sûr que sûr Comme toutes les grand-rues, évidemment elle mène à l’horizon, elle mène à des mats de bateau, qui se cabrent devant l’infini bleu, vert, gris, opalescent, rempli de choses malades qui sentent pas bons et ont des nageoires qui entrouvrent la nuit.

Bref, la grand-rue, elle mène sûrement très loin, et donc elle porte sur chacun de ses flancs une bordée de caniveau. Il y a donc là deux bordées de Lieux d’aisance pour les drôles de types canins qui crapahutent sur les versants du chemin.

Soudain, il y en a un qui gueule. Qui beugle. Qui miaule. Qui a la langue qui sort d’entre les babines. Un qui doit être le chef. Il braille qu’il faut s’arrêter. Que la colonne doit stopper son avancée. La marche des chiens, c’est là qu’elle connaît sa fin. Parce que ça y est, ils ont trouvé les Lieux. Les Lieux où commence leur fin. Les Lieux où s’épanche leur faim. Leur faim de grande finition. De grande finitude en beauté. Ils ont trouvé les Lieux, enfin. Un bout de chemin qu’ils les cherchaient. Qu’ils avaient mis leur âme sens dessus-dessous, qu’ils avaient crucifié, lapidé, brûlé, gazé, autodafé, exterminé, dévoré, violé, pillé, étranglé, décapité, électrocuté, amputé pour trouver les Lieux. Les Lieux d’où pouvait repartir leur vie.

Majestueusement, le chef s’accroupit. Et tous les autres aussi, s’accroupissent. Position réglementaire pour partir à la découverte des Lieux. Et ils se mettent à faire ce qu’en ces Lieux on fait toujours, quand l’âme et le corps s’unissent dans un grand élancement de don.

Alors à ces Lieux ils donnent tout.

Ils commencent par leur donner leur fidélité. Finies les promesses, toutes les promesses de l’ancienne vie. Place à la trahison. Les idéaux, les amours, ils s’en vont vers le bout de la grand-rue. Au bout des caniveaux, au bout des Lieux. Refoulés loin de ce qui les portaient dans leurs cœurs. Le grand chef pousse un rugissement de soulagement. Alors, tous, ils poussent un rugissement de soulagement.

Puis ils donnent leur amitié. Pour eux c’est encore plus libérateur que de donner la fidélité. Car ils remontent à la cause de la fidélité, ce sans quoi elle ne serait pas. Et hop ! Elle part prendre le même chemin, l’amitié, jusqu’aux eaux encombrées du port. Le grand chef se sent délesté d’un sacré poids, le grand chef pousse un cri de jouissance du fond du ventre. Alors tous, ils se sentent délestés d’un sacré poids, alors tous ils poussent un cri de jouissance du fond du ventre.

Puis ils donnent leur liberté d’être à des êtres solitaires. Ca faisait longtemps qu’ils ne la sentaient plus, toute enfouie qu’elle était sous les couches de graisse communautaire que la vie en bande avait accumulée entre leurs pattes, autour de leur cœur. Ce n’est pas difficile de l’évacuer d’un bon coup-bas au sternum. Et allez donc que ça se barre dans les eaux déjà usées, vers le bout de la ville, le bout de la terre, rejoindre les autres avortons. Le grand chef pousse un soupir profond comme un rot de serpent. Alors tous ils poussent des soupirs profonds comme des rots de serpent.

Toi, tu les regardes du fond du ruisseau, tu t’agrippes aux rebords du trottoir, tu essaies de ne pas t’en aller avec les déjections. Heureusement pour toi bientôt le fleuve se tarit. Le grand chef pousse un barrissement mou, un barrissement sans noblesse, et tous poussent un barrissement mou, un barrissement sans noblesse. Et tous s’en vont vers leurs nouvelle vie, la queue encore plus basse qu’auparavant, les oreilles flasques et le regard au ponant.


Le tramway brûlant

Il y a un quartier où les dieux sont assis sur les porches de leurs maisons et jouent du tango. Il y a Anubis, Siva, les anges déchus, Isis et Baal, entre autres. Entre autres parce qu’il y a les autres, ils sont tous là, mais certains tu ne les reconnais pas. Ils sont assis au pied de leurs immeubles de pierres grises et bleues délavées par soleil et pluie sans fin, soleil et pluie qui retournent, s’en retournent, retournent sur eux-mêmes et reviennent inlassablement au rythme des saisons, au rythme des temps édictés par le dieu des dieux, le temps qui depuis quelques temps a molesté ses sujets, les simples dieux.

Alors ils sont là, les dieux, devant leurs portes entrebâillées sur des couloirs sombres, frais, entrecoupés de portraits d’ancêtres. Leurs ancêtres, tu ne vois pas trop de qui il s’agit. Un peu mystérieux, les ancêtres des dieux. Enfin, les dieux, ils sont là. Ils sont vêtus à la lâche, chaussures poussiéreuses pendantes au bout de leurs jambes décharnées, sous des pantalons mous moulants. Leurs torses trop maigres dépassent des chemises délavées, grises comme du bitume de route du Sud comme tu en as connues dans le temps, comme tu en as caressées de tes pieds dans le temps, entre deux villes, entre deux villages, entre deux rivières, pendus suspendus à la chaleur du ciel et du chemin.

Bref, les dieux ils jouent. Peut-être qu’ils jouent en silence. Tu ne sais pas, en tous cas tu n’entends rien. Tu ne sais pas pourquoi mais tu n’entends rien. Il y en a un qui se tient pattes écartées, bedon en avant, bandonéon le recouvrant, et qui froncent les sourcils, qui plissent les yeux, les yeux qui pleurent car, sûrement, un orgasme approche. Il y en a un qui se balance comme une vieille putain espiègle et triste et complètement déboussolée mais fière, la guitare sur son flanc qu’il caresse des griffes mollement. Il y en a un qui a sa flûte de pan, pour le tango c’est pas idéal, c’est sûr qu’il a dû insister pour pouvoir la garder. C’est pas grave, il est beau, il est vivant, il se tient droit devant un tramway en flammes.

Tu as un peu chaud, ça c’est sûr. Mais une voix te dit que tu t’en fous, que tu vas voir ton vieil ami. Ton ami que tu ne connais peut-être pas. Tu pousses une de ces portes en bois qui bâillent. Tu pénètres un de ces couloirs aux ancêtres. Mais dans les cadres sur les murs il n y a rien. Que du verre rayé et à l’intérieur du sable nostalgique, du sable d’il y a longtemps, d’un désert, d’une vallée de la mort, d’une plage, d’une grève, d’une crique que tu as dû connaître un jour, sinon tu n’aurais pas ce serrement au cœur. Il y a un escalier, dessus tu poses un pied ; il est si doux sous la poussière, l’escalier, si plein de chaleur, c’est un bête endormie, c’est une bête assoupie qui si elle se réveillait te prendrait dans ses bras. Mais elle ne se réveille pas et tu commences de monter. Tu la piétinés, la bête, mais tu n’as pas le choix. Tu montes, tu grimpes, tout droit. Vers cet ami que tu sais être là-haut, que tu sais être là-bas. Tu passes bien vite les étages. Des éclairs de froideur, de désordre, de mort et de foutre, tu entrevois. Mais tu ne t’arrêtes pas. Tu comptes les étages, puis tu arrêtes de compter. Un peu trop pour toi, un peu trop compliqué. Il faut dire que ça fait des détours, il y a des couloirs, des entresols, des culs-de sacs, des impasses, des précipices et des ascenseurs immobiles.

Enfin te voilà là-haut. Enfin tu es là-bas. Dans une pauvre chambre aux murs gras. Enfin ton copain, tu le vois. C’est une statue de bois coiffée de cornes d’ivoire. Quelque chose de précieux, tu devines, oui, quelque chose qui vient de loin. Ton ami de toujours, en fait, maintenant tu le reconnais. Il te sourit. Quand tu l’effleures du bout des doigts, il rétrécit, devient à peine plus qu’un bout de bois. Tu peux le mettre dans ta poche. Tu le fais. Il te donne une grande chaleur et la fenêtre qui jusqu’à maintenant éclairait la pauvre chambre fond et se répand au sol. Et le plancher mité qui jusqu’à maintenant vous supportait, toi et l’ami, s’ouvre et vous laisse tomber. Par le plus court chemin vous laisse retourner au couloir, à la rue. À la rue et aux dieux. Sauf qu’ils ne sont plus là, les dieux. Il n’y a plus que le vent. Un peu glacé. Il n’y a plus que le tramway qui s’est refroidi. Un peu glaçant. Mais dans ta poche, là, comme dans ton ventre un enfant à venir, ton ami. Tu plonges la main et tu fouilles. Mais il n’y a pas de statue. Il y a du bois, mais ce n’est qu’un cadre. Dedans du verre rayé, et à l’intérieur du verre du sable. Du sable de nostalgie. Du sable qui bientôt sort du cadre. Qui bientôt par les rayures se faufile au-dehors. Qui bientôt prend le chemin du vent. Qui bientôt au loin disparaît en dansant.

La maison close

Il y a une maison close. Entre deux terrains vagues. Il y a une maison close. Entre un terrain vague divaguant de chaleur. Il y a une maison close. Et un terrain vague harassé de neige et de boue. Il y a une maison close. Entre un terrain vague qui est posé là, en pleine garrigue. Il y a une maison close. Et un terrain vague qui est posé là, entre des montagnes de charbon toutes grises. Il y a une maison close. La lanterne rouge flashe tes yeux. Il y a une maison close. Éclair rubis. Il y a une maison close. Éclair sang. Il y a une maison close. Éclair morceau de viande. Il y a une maison close.

Tu entres. Tu montes. Te regardent, les statues. Vulgaires, te regardent. Te sourient comme des charognes au fond d’un tombeau somptueux. Sont vulgaires parce que sont vivantes. Parce que sont humaines. Mais dans les chambres il y a des statues pas humaines, des statues pas vivantes. Celles-là seront bien. Seront à ton goût. Pas vulgaires pour un sou. Tu le sais. Comment le sais-tu ? Parce qu’elles seront là avec le sourire que tu leur destines depuis toujours. Que depuis toujours tu le vois sur leurs lèvres. Dans cette maison d’ivresse. Dans cette maison maudite, cette maison que tu as maudi depuis que tu as des yeux pour voir des maisons closes. Des maisons encloses. Des maisons que ton âme enclôt. Dans ton âme, au bord, au milieu des pelouses cervicales. Ou au beau milieu des bombes neuronales. Enfin au beau milieu des pays où des gens qu’il n’y a que toi pour connaître ont des regards implorants. Des regards suppliants. Des regards suppliciants. Des pays où ces regards te font peur. Parce que tu les a créés. Et qu’ils ne te quitteront pas de si tôt.

© Guillaume Boppe


(1). Parlez de soi crée des miroirs, Guillaume Boppe, Édition du Petit Véhicule, Nantes, 2002.
ISBN : 2-84273-308-8.

gboppe@noos.fr


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