Marché de la détresse
Emil Georg
PROSPECTIVE (en cour de réalisation…)
TABLE DES MATIÈRES
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[…] Ce que nous appelons Marché - y compris bien
sûr, plus loin, le Marché de la détresse -,
constitue une évolution anthropologique objective, dans
l’esprit comme dans les faits. Il intègre un vaste
réseau initial de paramètres interréactifs,
ainsi qu’une multitude d’acteurs participant tous à
l’opérationnalité du Marché, mais un
marché élastique, dictant à l’Humanité la
seule loi évolutive que la raison ait pu extirper de sa
houleuse et, trop souvent, périlleuse aventure.
Le Marché est donc un aboutissement évolutionniste ; il
n’en est pas moins, grâce au travail intensif et courageux
entrepris à partir du socle matériel qui engendre le
vivant, l’aube d’une espèce nouvelle, dotée de
caractéristiques génétiques intrinsèques
remaniées en vue de l’éradication de toutes les
valences et combinaisons psycho-physiologiques qui, à titres
divers, provoquaient ce déplorable esprit de « désenchantement », lequel instillait son venin dans le
corps et dans l’âme de l’homme, les dévoyant vers
toujours plus de mal que de bien. Cette évolution-là a
bifurqué dans le bon sens ; elle a pu être
rectifiée, non sans mal, en vue de la victoire - en tout cas
pour les siècles à venir - de l’œuvre tant
individuelle que collective de chercheurs authentiques, qui ont su,
sans jamais se départir de leur foi dans le rôle
sacré de l’homme, dévoiler, au cœur du dispositif du
vivant, les mécanismes qui ad infinitum projettent
l’être humain vers le bonheur auquel la nature bien comprise le
destine. […]
Évolution des Espèces Assistée par Ordinateur (Computer Assisted Evolution).
Le Marché actualise cette instance qui constitue à la fois la raison de la survie et la survie de la raison dans la civilisation. Il n’a pas imposé sa loi, mais il l’a exsudée, pour constituer une évidence qui s’impose - je dirais qui se révèle - à la conscience humaine. Le Marché est l’aboutissement d’un processus anthropo-techno-théologique, lequel, tout naturellement, grâce à ses régulateurs intrinsèques, rejoint un évolutionnisme primordial. En effet, avec l’Évolution des Espèces Assistées par Ordinateur (EEAO), on peut parler aujourd’hui d’un néodarwinisme où les systèmes numériques et bientôt quantiques veillent littéralement à la survie optimale de l’espèce. […]
Le Génie génétique comme anthropologie divine (p.13)
Il apparaît clairement aujourd’hui que le Marché est
engagé dans rien de moins qu’une mutation radicale du « genre humain » par le simple jeu de la rentabilisation de
centaines, voire de milliers de brevets issus des laboratoires de
recherche. Le Génie génétique n’est donc pas le
moindre événement qui échappe ainsi à
l’ancienne Cité. Face à ce vaste déploiement de
moyens opératoires, se dégage une volonté de
scinder le genre humain en deux espèces : l’une,
rattachée à l’industrie génétique,
l’autre exclue de celle-ci. Lee Silver, biologiste à Princeton
(New Jersey) peut ainsi affirmer que les techniques de reproduction
obéissent à la loi du Marché et que « la
seule solution serait de permettre à tout le monde de
l’utiliser [le Génie génétique]. Sinon,
l’aboutissement ultime de tout cela, c’est la séparation de
l’humanité en deux espèces différentes, les
« Naturels » et les « Genrichs ».
L’analyse de L. Silver reste cependant critique quand il rajoute que
« contrairement à ce que Aldous Huxley disait dans Le
Meilleur des mondes, ce n’est pas le socialisme mais le capitalisme
qui est la mort de l’humanité ».
En réalité on n’en est plus là.
L’anthropologie politique dans l’ère mondiale du Marché
ne peut plus, on s’en doute, se définir selon les paradigmes
idéologiques du XXe siècle. La mutation en cours
implique non pas une réévaluation de qualités
devenues obsolètes, mais bien une invalidation de la
faisabilité humaine telle qu’elle avait été
tentée au cours des derniers siècles, et son
décrochage radical du langage philosophique traditionnel. Si,
comme l’affirme Gilbert Hottois, « la raison ne peut devenir
finale qu’en s’associant à la "bonne affectivité" de
l’amour », cela résulte d’abord de ce que la raison
souffre « d’une impuissance constitutive, [qui] l’exclut « de la considération éthique les êtres et les
démarches non parlants […] » (c’est nous qui
soulignons). Vouloir alors, et par ailleurs, « écarter ou
ignorer comme démesure, barbarie ou insignifiance, les
possibles et perspectives, qui insistent à l’horizon de notre
civilisation techno-scientifique […], me paraît au point de
vue de la philosophie non satisfaisant. […] Il faut cesser
d’opposer, d’une manière antagoniste et simple, le combat
contre la finitude et l’assomption de la finitude 5. »
Ainsi, l’Humanité promise à la survie selon le mode
opératoire déjà mis en place pour un destin de
survie, est l’Humanité financièrement et objectivement
intégrable. Celle qui ne l’est pas, en étant exclue du
Marché, se trouve explicitement sortie de l’Histoire et non
seulement livrée à elle-même, mais implicitement
hors identité, rejetée du processus
évolutionniste et, par là, vouée à la
finitude.
(…) P 40 Le potentiel génétique, l’événement pur
Pourquoi parler de hasard si tous les faits objectifs nous
invitent à nous en dispenser ?
L’instructurable, ce potentiel, ou ce manque de potentiel qu’aucun
événement ne peut intégrer dans un quelconque
système, fût-il le Marché de la détresse,
l’absolue non rédimable part du Corpus humain, n’a de sens que
s’il participe à une évidence, un mur infranchissable
même pour l’esprit le plus concret. Il n’a de sens qu’en tant
qu’événement pur, en tant que révélation
de cet événement pur.
Ne nous attardons pas au juste chiffre de l’ouverture des cotations
du Marché de la détresse (-110 à -159, cf. plus
loin), auquel ont abouti nos études complexes mais
affinées, après intégration de l’Humain-social
non structurable (SNSHR).
Revenons plutôt à l’événement qui le
sous-tend.
Il existe parmi les populations, cela est devenu clair au cours du
XXe siècle, des inégalités en potentiel
génétique. Ce potentiel génétique
prédispose tel individu ou tel ensemble d’individus à
créer ou non ses conditions de survie. La capacité
d’instaurer, quelles que soient les vicissitudes historiques, un
système d’informations qui couple les populations aux
instruments (ou moyens) de survie, dès lors qu’elle peut et
doit se les assurer, conditionne leur devenir.
L’inégalité des populations devant ce Destin est un
fait anthropologique.
Il importe de savoir à qui incombe la responsabilité de
cette inégalité de potentiel génétique.
À un déterminisme cruel, à une Volonté
supérieure mal comprise par l’incapacité de coupler
l’information avec le corps, au « pur Hasard » ? Mais
répétons-le : Pourquoi parler de hasard si tous
les faits objectifs nous invitent à nous en dispenser ?
Qu’entend-on cependant par potentiel génétique ?
Toute forme, pour passer de l’abstrait au concret, nécessite
une médiation, une information qui utilise et asservit
l’énergie potentielle du système. Une forme, une
population, n’est pas pure, n’est pas stable, elle est une
abstraction qui nécessite la médiation d’un « moule » pour entrer avec lui en résonance afin de
libérer, dans cette communication entre forme abstraite et
destin concret, l’énergie potentielle qui lui permette de se
doter d’un quelconque devenir.
Ce qui vaut pour les populations vaut a fortiori aussi pour les
marchés. On peut soutenir, globalement, que les marchés
classiques furent des formes inachevées qui n’ont su que de
façon diverse, à partir de leur énergie
potentielle, capter les moyens (processus techniques), leur
permettant de sortir de leur forme primitive - fermée puis
abstraite - pour rejoindre leur finalité concrète : le
Marché. Avant le Marché, régnaient l’anarchie et
le chaos d’ensembles déjà donnés, mais
foncièrement immatures. Les marchés nationaux
étaient conçus comme des « unités
théoriques et matérielles », sans « compatibilité réelle » entre la part
théorique et la part matérielle. Il leur manquait
l’information technologique pour intégrer ces « fonctionnements anciens », issus de leur forme primitive, dans
un ensemble mature et concret. En fait, il leur manquait la
médiation technologique à même de leur
conférer la cohérence et la concrétisation qui
sont celles du Marché. Ayant mal négocié le
passage de l’abstraction au concret, les marchés primitifs
étaient, nous dirions par défaut inégaux devant
la loi du Marché et, selon leur teneur en « énergie potentielle », ils ont su ou non
développer les moyens d’atteindre leur devenir concret :
l’intégration dans le Dispositif technoscientifique, lequel a
permis l’advenue du Marché. « L’Homme, dit très
bien R. Tob, dépossédé de sa fonction de porteur
d’outil, […] n’est pas au niveau des individus techniques ; il est
en-dessous des individus techniques, tant physiologiquement puisque
l’individu technique impose ses schèmes au corps humain,
qu’intellectuellement puisqu’il n’a plus accès aux
schèmes de machines devenues concrètes. »
N’oublions jamais que les technosciences sont le prolongement d’un
destin humain, lui-même soumis aux lois de l’évolution
régies par une Instance supérieure à l’homme.
Qu’en conséquence, les structurations ou les
déstructurations, les intégrations ou les invalidations
qui lui sont consécutives ne relèvent pas a priori du
domaine de l’Humain. En d’autres termes, « l’origine,
produit par l’homme ou engendré par la nature, n’est plus le
critère… ». L’évolution est fondamentalement une
forme en devenir ; une information permanente laquelle échappe
à la décidabilité humaine. La survie, le bonheur
et la responsabilité de l’Humain sont devenus une affaire de
« couplage » entre l’homme classique doué ou
dépourvu d’énergie potentielle, et « l’homme
technique », produit en devenir selon les lois
supérieures de l’évolution.
Tout cela pour dire que ce couplage, lorsqu’il n’a su se produire
selon ces lois, échappe de facto à la
responsabilité humaine - puisque la nature, comme on l’a vu,
n’est pas du domaine de l’humain, mais peut l’être, toutefois,
à condition qu’il s’agisse d’une responsabilité
relative, i.e. une responsabilité exsudée par une
volontée charitable, voire même miséricordieuse,
inhérente au Marche.
Nous y reviendrons.
Mais insistons sur le fait qu’il n’appartient à aucune « éthique » en soi - par essence abstraite et arbitraire -
de contraindre une population de prendre en charge le
surnuméraire démographique fossile issu d’une entropie
naturelle, c’est-à-dire d’une défaillance
évolutive structurelle.
Or, justement, la population non structurée, objet du
Marché de la détresse telle qu’elle a été
définie dans les notes ci-dessus (SHNSR), n’est pas à
considérer à proprement parler comme
surnuméraire fossile. Elle conserve un potentiel
d’énergie, quand bien même limité. Si elle se
trouve rejetée hors du social structuré, elle n’en est
pas pour autant définitivement mise hors évolution. En
termes de Marché, elle offre encore des opportunités de
médiation ; disons qu’elle reste dotée de
facultés de servitude, de couplage possible avec « l’homme-technique », donc de salut. Si « la
médiation constitue un règne concret, un règne
propre, dont on peut faire l’histoire, dire l’évolution », si « c’est sa relation aux autres objets, techniques ou
naturels, qui devient régulatrice et permet l’auto-entretien », alors rien n’interdit au Marché, bien au contraire,
d’incorporer une part du surnuméraire en tant que serviteur au
profit d’une population contiguë. Mais à condition que
celle-ci soit soumise au protocole de « responsabilité ». Le Marché de la détresse, comme expression
concrète de cette responsablité, donne ainsi au
serviteur « l’occasion de comprendre que la médiation
qu’est la technique est une médiation chargée d’un sens
interne, qu’elle est opératoire, et qu’elle l’est
intrinsèquement […], par rapport à l’homme et au
monde, par rapport à ce qu’est capable de produire comme effet
ce règne propre sur cet autre règne que forme l’humain ».
Pour notre part, le couple homme-technique se concrétise dans
une sphère opératoire, certes, mais également
dans un dessein hors de l’Humain, qui est l’empreinte du dessein de
Dieu, tel qu’il a interpellé l’Humain depuis des temps
immémoriaux. L’association trinitaire Outil/
Finance/Technologie peut ainsi produire, par métonymie, de
véritables valeurs théologiques.
En ce sens la solidarité du Marché, au travers du
Marché de la détresse, participe-t-elle à une
tradition miséricordieuse, dans la mesure où elle rend
opératoire de manière implicite, non
immédiatement objective, une commisération de
contiguïté, le cœur ouvert à l’autre
immédiat, une foi en l’autre qui, en échange de cet
acte miséricordieux, offre le don que constitue sa
servitude.[…]