Richesses boliviennes
Bolivian Riches
photos par / by © Côme Jean
Une sélection parmi / a selection out of 118 photos…
La Pampa à perte d’horizon montagneux au loin, si loin que chaque pas sur le sol herbeux le recule d’un souffle. Une mer d’algues brunes cramées par le soleil ondule… Et marcher en cette mer, c’est bientôt voir les herbes s’animer, s’entortiller dans les pas, occuper le corps de tes pensées. Une crue végétale t’enlace, et rien pour s’agripper, rien que l’azur de l’espace qui te happe la gorge. Tu étouffes et tu sais que tu chemines à 4000 mètres d’altitude dans un océan cosmologique où le monde Inca, dévasté, gît et que le bruit de fond de cet univers-là gronde de ferrailles incarnées, de cris écartelés, que l’on égorge, vite jetés aux chiens dans des plaintes infinies que l’on prendrait pour le vent si le vent exterminait - et ces gémissements de longs pleurs aux larmes ensanglantées qui gargouillent toujours dans la Pampa de sources disséminées, salent la terre d’une acidité cinq fois séculaire…
Pampas as far as the mountainous horizon, so distant that every step on the grassy ground puts it another breath away. A sea of undulating brown seaweed burnt by the sun… And to walk in this sea is to soon see the grasses come alive, wrap themselves around your steps, occupy the body of your thoughts. You are in the embrace of a high tide of vegetation, with nothing to cling onto, nothing but the azure of space which is snatching at your throat. You are suffocating and you know that you are 4000 metres up, walking in a cosmological ocean where the devastaded Inca world lies and that the background noise of that universe grumbles with blades incarnate, with quartered screams, throats slit and quickly thrown to the dogs with interminable moans that might be taken for the wind if the wind exterminated - and this sobbing and long weeping of bloody tears rumbles on the Pampas, coming from hidden sources and salting the earth with an acidity 500 years old…
Dans les maisons espacées que tu traverses, l’ordre de la conquête a tout dérangé, mis à bas les arcanes de l’ancien temps, jeté à l’emporte pièce les choses, les êtres et leurs âmes. Ne pas tuer mais exploiter la mort, asservir et figer jusqu’à l’hébétude, freiner le temps dans une douleur silencieuse toujours à vif du sel de ta propre terre, à ne plus connaître qu’elle, à en oublier presque d’où tu viens, devenir l’esclave d’une faute imaginaire que l’on voudrait te donner pour destin… Et puis marcher des jours, des ans dans la Pampa, le souffle si court qu’il en réduit ta vie, mâchant la coca pour tenir, s’en nourrir dans le bruit lancinant de la douleur ancestrale, serrure de la mémoire, que les totems des pyramides préservent dans leurs têtes de pierre, et toi, dans le dédale de tes veines sous pression policière, la CLEF. C.J.
In the spaced out houses you pass, the order of conquest has upset everything, destroyed the mysteries of the olden times, cut down objects, people and their souls. Not killing but exploiting death, subjugating and stultifying to the point of stupor, slowing time in silent pain raw with the salt of your own earth, knowing nothing but that earth, almost forgetting where you come from, becoming the slave of an imaginary wrong that they would like to impose as your destiny… …And then walking for days, for years in the Pampas, so short of breath that your life is reduced, chewing coca in order to keep going, living on it amid the haunting noise of ancestral pain, lock of memory that the totems of the pyramids keep in their stone heads, and you, in the maze of your veins under police pressure, the CLEF.
Translated by Mandy Weyer-Brown