AVANT QU’IL SOIT TROP TARD 1  1




   Et maintenant écoutez-moi bien… Je suis le témoin d’une incroyable violence. Je pose  mes doigts au creux de sa nuque et pressens la violence dans toute sa brutalité.  Une violence à fleur de peau, dont mes doigts, mes lèvres, mon ventre touchent les prémices ; elle m’emporte déjà et je dois me retenir de toutes mes forces à sa taille en nouant autour d’elle mes  bras. Je presse mon visage contre son ventre et c’est en même temps le retenir de commettre déjà, là, en ma présence, l’acte fatal, un acte encore isolé, mais les dieux et moi seuls nous savons combien de cas isolés formeront bientôt une chaîne infernale de brutalité. On n’aura jamais vu cela. Une violence inouïe où l’on se poignardera de proche en proche, et de proche en proche cela fera tache d’huile jusqu’à l’instant sanglant d’avant l’explosion. Car avant l’explosion sanglante et meurtrière il y aura l’implosion sanglante et meurtrière.

   Et à présent posez-vous la question : POURQUOI ? Hébété, tétanisé, à ’instant fatidique tout le monde se posera cette question stupide : POURQUOI ? – l’histoire entière n’étant qu’un grand POURQUOI demeuré sans réponse. Aors, la réponse la voici : L’AMOUR. Et quand je prononce ce mot je n’ai encore rien dit si je ne dis pas d’emblée que l’absence d’amour, ce sont toutes nos peurs d’abord soigneusement engrangées, cultivées, accumulées en un sauvage et chaotique bombardement réciproque. POUQUOI ? Parce que nous sommes constitués de cette charge électromagnétique, toi charge positive, l’autre charge négative, en route pour la grande dérive cosmique. POURQUOI ? Parce que l’amour salvateur, tout à fait contraire au destin de la matière
– qui, décidément, a de très mauvaises manières – l’amour salvateur, dis-je, est une folie si atrocement nécessaire aux créatures dotés d’irraison que nous sommes – mais en même temps si insupportable aux créatures de raison que nous feignons d’etre –, que nous fuyons toutes les occasions qui nous sont offertes de nous y réfugier, de nous y mettre à l’abri, de nous y reposer les nerfs et d’y mourir dans l’ivresse et dans l’adandon.

   Car c’est aujourd’hui q’il faut mourir d’amour. Il n’y a pas à hésiter une seconde. Si l’occasion vous est offerte d’en finir avec ce monde dans des bras aimants, n’hésitez pas, finissez-en. Vous sauverez de l’enfer votre partenaire et lui ou elle vous fera connaître la rédemption des rédemptions dans la plus voluptueuse, la plus exubérante et la plus tragique des fins qui soient. Sinon, sinon, vous connaîtrez la plus ignoble des agonies. Une longue et effroyable agonie. Un spectacle d’horreur absolu ! Alors n’hésitez pas ! Si vous adorez ce corps et si ce corps vous adore, si vous voyez dans ses yeux l’univers s’alanguir, si votre désir mutuel vous emporte au-delà de l’indicible, si ce front vous communique sa chaleur, ce ventre ses spasmes, cette main sa fraternelle moiteur, cette gorge son râle, si la star se dévergonde dans vos bras, si le suicidaire y veut mourir, si le monstre y faiblit, si le tyran s’y abaisse, si la mère y trahit les siens, si l’important y abîme sa carrière et le moraliste toutes ses morales passées, présentes et à venir, si vous avez ce privilège insensé, finissez-en, avant que l’envie vous en passe, avant qu’il ne soit trop tard !







1-  John-Emile ORCAN, Publié par  feu-fourneau, 1988
Fond d’image : C. Jaherson-Dias






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