Haut Risque

Gilles Sebhan Couverture Haut Risque
Parc Édition
Titre
Haut Risque
Auteur
Gilles Sebhan
Collection
Morsure, 135 x 195
Type
Roman
Taille
216 pages
ISBN
978-2-91-201016-2
Publié
Couverture
Photo : Hayette Soussou

Présentation

Dès que tout cela se trouve soudainement détourné, dès que le désir y passe en contrebande, il se produit alors comme un petit miracle. Ce que certains nomment perversité n’est que la recherche forcenée d’une beauté nouvelle.

Un ex-enfant terrible tourmenté par le désir et la jeunesse se retrouve professeur dans un collège de banlieue. Après une période idyllique avec ses « petits faunes », une série de voyages bouffons, déroutants ou tragiques, il est bien obligé d’admettre que le monde s’est assombri. La rencontre d’un de ses élèves va soudainement bouleverser l’ordre des choses et plonger les protagonistes dans un univers extrême.

Haut Risque, roman-fiction qui renoue avec une tradition littéraire du mal (Genet, Duvert), approche, non sans audace, le désarroi d’une certaine jeunesse. On songe aussi à Lolita, mais une Lolita au masculin… Le début classique d’autobiographie vire progressivement au récit poignant et fiévreux, comme si l’âge des personnages, leur immaturité, leur violence, entraînaient peu à peu l’écriture vers une tension tout à fait contemporaine.

Entre grâce et disgrâce, cette histoire nous révèle un univers où réalité et fantasme s’allient jusqu’à l’éclatant désastre.

Gilles Sebhan est né en 1967. Haut Risque est son premier roman. Il a publié depuis, en 2005, Presque Gentil (Denoël) et récidive chez Gallimard avec La Dette.

Extraits

J’avais hérité d’une classe composée presque exclusivement de garçons. La plupart d’entre eux avaient deux ou trois ans de retard. Ils avaient choisi une filière dans laquelle le français n’était plus qu’une manière d’option. Inutile de dire qu’ils prirent plaisir à me chahuter. Ce fut mon salut. J’avais eu peur que mon caractère solitaire, mon incapacité à représenter la jeunesse ne m’empêche d’avoir sur eux un ascendant. Or je m’aperçus vite que s’ils contestaient mon autorité, c’était qu’à leurs yeux je refusais le rôle qui m’était échu : celui de l’adulte.
Bien sûr, mes premiers ravages se firent dans les rangs des collègues. Les femmes divorcées me voyaient déjà dans leur lit. Elles organisaient des sorties scolaires ou des voyages à la neige dans le but ultime de m’attirer dans leur intimité. Cela se passa en effet une ou deux fois. Mais tout cela était trop sage pour moi. Il aurait fallu au moins un peu de scandale, des murmures entendus, des regards amusés ou jaloux. Qu’un élève par exemple nous surprenne en action. Mais nos gamins demeuraient désespérément aveugles et la porte de nos ébats fermée à double-tour…
Quelqu’un d’avide, d’insensé, un barbare avait pris ma place. C’est lui qui avait dégrafé le pantalon de Serkan, baissé le slip de coton blanc sur ses cuisses ombrées de mâle, poussé le corps soumis sur le lit. Il aurait suffi d’un mot pourtant, mais le garçon s’obstinait dans son mutisme. Il laissait faire l’autre, le salaud, l’ordure. Et moi ? Moi ! Je m’étais perché tout entier sur ma propre bouche et je m’écrasais sur la nuque du môme, tentant de m’y incorporer, de devenir elle, alors que plus bas un sexe inconnu, plus gros que nature, pénétrait dans l’ombre des boucles noires, par degré s’enfonçait, faisait son chemin à sa guise.
… Dès que tout cela se trouve soudainement détourné, dès que le désir y passe en contrebande, il se produit alors comme un petit miracle. Ce que certains nomment perversité n’est que la recherche forcenée d’une beauté nouvelle.
Étrange idylle. Deux jours plus tard, Adel est installé dans l’appartement. Il débarque avec son sac de sport, sans un mot. Il se sert un jus d’orange dans la cuisine, me prends une cigarette. Tout cela est d’un naturel confondant. Ses cousins ? Il s’en bat les couilles. Ils peuvent aller se faire foutre. Ses parents ? Qu’ils rentrent au bled. Un peu plus tard dans la soirée, il les appellera devant moi : on ne traite pas plus mal les vieilles carnes malades et à demi crevées. Et Marc ? Et Arturo ? J’ai l’impression d’évoquer un vieux souvenir. Il se contente de hausser les épaules. Fabrizio, la plage du Paradis, son petit boulot. Il ne m’écoute même plus, il est en train de bricoler le téléviseur et marmonne qu’il va falloir acheter un magnétoscope. Finalement, il se vautre sur le canapé. Et moi ? C’est la question suivante et elle me reste en travers de la gorge, je vais la cracher dans la salle de bains. Dans le miroir, un beau visage bronzé me regarde - étonné.
Il est installé dans le canapé, une cuisse de poulet à la main et un paquet de chips coincé entre les cuisses. Il ne m’a pas attendu. Je trouve que c’est un bon prétexte pour l’engueuler – j’ai remarqué que nous faisions toujours mieux l’amour ensuite, dans une espèce de combat où je finissais par le violer.
Adel avait des plaisirs vulgaires. Je ne peux pas dire si c’était par imitation ou par bêtise pure. Mais j’y trouvais une délectation particulière. Il aimait ainsi se faire sucer devant l’écran géant durant les matchs de football, manger des raviolis en boîte et péter quand je me collais contre lui. Tout ce qui aurait été insupportable chez un homme devenait charmant chez cet enfant. Je ne me l’explique pas.
J’apprends vite que depuis la veille la cité - notre cité - est en état d’insurrection. Un garçon aurait été torturé par la police et serait mort d’un arrêt cardiaque. Du coup, déchaînement de violence. C’est un prof de physique - un vieux de la vieille - qui m’explique ces détails, un peu haletant malgré tout. Le centre commercial - celui où je vais encore parfois traîner pendant les trous de mon emploi du temps - vient d’être saccagé.
"On va te finir." Asmat est revenu sur le devant de la scène. Il se sert de l’autiste, des branleurs et d’un manche de bois. Quand il la fait mettre à quatre pattes pour lui déchirer le cul, elle se met à supplier qu’on la laisse et fait pipi. La sœur de Spa. Pour une fois, Asmat sourit franchement. Il a l’air d’un enfant. Tout le monde participe - y compris mon Adi. Tout le monde se termine. Ensuite, on rigole, on menace un peu, on se moque de la fille parce qu’elle sanglote. Une minute. Après quoi, on l’aide à se rhabiller. C’est bon, on se casse.
Un matin, il y a un message d’Adi. C’est sa voix - un peu altérée peut-être, mais je ne peux pas m’empêcher de sourire. Il balbutie, laisse un tas de silences, finit par dire qu’il a fait une connerie et je l’entends renifler au bout du fil. Il y a encore un blanc après quoi il raccroche.